Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pourrez jamais éteindre sa passion pour la liberté. Piétinez-le dans la boue, et les enfants de ses enfants se lèveront avec des mots d’ordre de liberté aux lèvres. Je viens à vous comme le descendant d’une race qui a combattu César... »


VI

On voit l’ensemble des forces personnelles et sociales qui ont concouru à édifier la fortune et à composer le caractère du premier ministre. On voit aussi le peu de place qu’y tiennent les préoccupations théoriques et la spéculation. M. Lloyd George ne se définit pas moins nettement par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est.

A Downing-Street, au milieu de la vieille bibliothèque dont usa Gladstone, un reporter de ses amis lui demanda un jour quels étaient, parmi tant de livres, ceux qu’il préférait. Le chancelier de l’Echiquier dans sa réponse ne cita ni un poète, ni un philosophe, ni un savant. Sa prédilection allait aux romans historiques, principalement à Alexandre Dumas.

M. Lloyd George, sans doute, est trop occupé pour avoir le loisir de beaucoup lire et l’on conçoit que, si d’aventure il s’y risque, il fasse choix d’un auteur reposant. Au vrai, il n’a jamais beaucoup lu. Il ne doit presque rien à la formation universitaire, ni aux livres. Ce qu’il sait, il l’a acquis en le faisant : par où il est bien Anglais. Il a appris l’économie politique au ministère du Commerce, les finances au ministère des Finances. On le sent plus travailleur que studieux, plus observateur qu’informé.

Il aime encore moins écrire, même des lettres, car la correspondance lui a toujours paru « le pire moyen de faire les affaires ; » point d’articles, point d’ouvrages. Mais il a le sens de la presse et prend grand soin de la publication de ses discours. D’ordinaire, quand il doit prononcer une harangue, il réunit les journalistes et leur en donne d’avance la substance, puis il revoit lui-même les épreuves. A vrai dire, ce qu’il craint de voir gâter dans les feuilles, c’est le mouvement, le rythme, l’image, beaucoup plus que la doctrine, de ses discours. A-t-il même une doctrine ? Il ne semble pas que M. Lloyd George ait jamais cherché à tirer de l’histoire ou de la philosophie aucun