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ouvriers britanniques possédaient aussi une plus longue tradition syndicale qui les rendait très jaloux de leurs prérogatives professionnelles. Il était interdit aux patrons d’employer des ouvriers non qualifiés, par conséquent de faire appel à aucune main-d’œuvre nouvelle, en particulier à la main-d’œuvre féminine. De plus, cet esprit corporatif, extrêmement accusé et qui marquait en temps de paix l’un des traits les plus saillants de la classe ouvrière britannique, perpétuait l’illusion qu’accroître la production de chacun risquait de compromettre le salaire de tous. C’était dans l’atelier, devenu un instrument principal de la guerre, qu’il fallait insuffler l’esprit de guerre, qui est d’abord l’esprit de sacrifice.. Dans cette entreprise nationale, M. Lloyd George usa de deux moyens.

Politiquement, il a imposé à son pays un régime militaire devant lequel on avait toujours reculé, parce qu’il n’était pas nécessaire, peut-être, mais surtout parce qu’il offensait ce sentiment de la liberté personnelle qui est le fond des mœurs et de l’esprit public en Grande-Bretagne. Après les campagnes de Lord Kitchener et de Lord Derby, après la magnifique réponse qu’avaient faite à l’appel de la Patrie plus de trois millions de volontaires, il pouvait sembler inutile, en effet, d’en venir au service obligatoire et l’on n’a pas toujours très bien compris en France le motif principal qui a déterminé le Gouvernement anglais à prendre cette mesure. Ce fut beaucoup moins pour se procurer des soldats au front que des ouvriers à l’arrière. Par le régime des engagements volontaires, beaucoup de travailleurs avaient quitté la mine et l’usine pour courir à la bataille : le Gouvernement ne pouvait violer les termes de leur engagement et les renvoyer à leur tâche. Un seul moyen s’offrait de régulariser à la fois, selon les besoins de la nation, le service de l’avant et celui de l’arrière : la réquisition générale des hommes. L’atelier n’en devait pas moins profiter que les armées.

Mais où le rôle de M. Lloyd George apparut le plus grand, c’est dans son action personnelle ; on ne gouverne les ouvriers britanniques qu’en les persuadant ; on ne conduit un grand peuple au sacrifice qu’en lui montrant un idéal. C’est alors que se déploya toute la force spirituelle de M. Lloyd George, que s’imposa son prestige d’homme du peuple, que jaillit la source mystique de sa parole. Toutes les mesures qui résument l’immense effort militaire de la Grande-Bretagne n’eussent pas été