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secte dont relevait le vieil universitaire, hypnotisé, à travers les grands prosateurs de Rome, par les Caton et les Brutus, les Cremutius Cordus et les Thraséas. Ces leçons de muette endurance n’étaient pas arrivées au jeune Amédée, le second fils de M. Jules Marnat. Ce frêle et nerveux enfant avait éclaté en sanglots, lui, en apprenant la déconfiture de son ainé. J’avais admiré la tenue de Blaise n’accusant pas le coup, comme on dit, moi qui connaissais la profondeur de sa déception. Je fus attristé, en revanche, par la rude façon dont il rabroua la sensibilité, un peu étalée, mais si touchante, de son frère :

— As-tu fini, avait-il dit brusquement, de nous donner la comédie ?

Ce n’était pas la première fois que j’observais avec quelle sévérité il jugeait et traitait son cadet. À dire vrai, celui-ci faisait piètre figure dans notre collège. Très éveillé, mais plus paresseux encore, on avait dû renoncer pour lui aux cours du lycée, où la pension n’envoyait, que ses sujets de choix. Amédée Marnat était donc un « intérieur. » Nous désignions ainsi les camarades moins brillants qui poursuivaient leurs études à l’intérieur de la maison, dans des classes décapitées de leur élite. C’était un déchet, dont Amédée était trop souvent le déchet. Les hauts et les bas de ses places,. — aujourd’hui dans les dix premiers, la semaine suivante dans les dix derniers, — dénonçaient le vrai principe de son infériorité scolaire. La volonté lui faisait défaut, non l’intelligence. Chez cet adolescent de seize ans, mince et petit pour son âge, aux traits fins, aux manières câlines, très soigné de sa personne, vingt indices révélaient une précoce et dangereuse curiosité de la vie parisienne d’alors. Les opérettes en vogue aux Bouffes et aux Variétés, les courses et les pronostics sur les futurs gagnants, les romans à la mode et les scandales retentissants du jour, faisaient la matière habituelle de ses conversations, à lui et à un petit groupe d’ « intérieurs, » appartenant à des familles riches, et qui se baptisaient eux-mêmes les « gommeux. » Quand Blaise l’apercevait qui se promenait dans la cour, un peu longuement, avec un camarade de cette coterie, le plus souvent il l’appelait, et l’on voyait les deux frères arpenter le préau, l’un impérieux et grondeur, l’autre taciturne et sournois. Visiblement, Amédée redoutait Blaise. Visiblement aussi, ce dernier manquait de doigté dans le maniement d’un caractère