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approfondie et complète du travail, avec une connaissance intime et personnelle de tous ceux qu’il emploie. L’expérience montre vite aux patrons que les bénéfices l’emportent souvent de beaucoup sur les frais. Mais les objections faites par les ouvriers sont plus difficiles à lever, parce qu’elles se rattachent atout un ensemble de raisonnements faux, qui font partie d’une mentalité très enracinée. De tout temps, le tâcheron a commencé par être hostile au progrès qui diminuait son effort ou augmentait son rendement, parce qu’il y a vu seulement le résultat local et immédiat de jeter sur le pavé un certain nombre de travailleurs. L’idéal serait pourtant d’utiliser assez les forces naturelles par l’intermédiaire de machines pour que le labeur journalier occupât seulement un certain nombre d’heures et fût suivi d’heures librement consacrées à la distraction, au travail personnel ou au repos. Ce serait, si l’on veut, la journée de huit heures, demandée par les confédérations ouvrières. Mais, contrairement à la logique, on a opposé à toutes les inventions nouvelles, qu’il s’agît du métier Jacquard, de la machine à vapeur ou du chemin de fer, la même objection de nuire à des intérêts locaux, et les ouvriers qui résistent au Taylorisme ne raisonnent pas, en somme, autrement que ne le faisaient les municipalités d’Orléans ou de Tours, quand elles ont écarté avec horreur le fléau des voies ferrées. On peut remarquer qu’en dépit des résistances, toutes ces inventions ont fini par se répandre et que ceux qui n’ont pas su les adopter à temps en ont plus tard longuement souffert.

L’artisan intelligent et capable a, en outre, une tendance toute naturelle à ne pas vouloir changer son mode de travail. On doit alors, non le forcer, mais le convaincre. L’usage d’une machine moderne, si savante qu’on la suppose, comporte une application de l’intelligence humaine, tout comme quand il s’agissait des engins les plus primitifs. Il faut montrer, en y mettant le temps nécessaire, à celui qui la manie, que cet usage est amélioré par le procédé nouveau. L’ouvrier de jadis travaillait seul à une tâche complexe avec des engins rudimentaires ; l’ouvrier moderne occupe une place spécialisée dans une vaste organisation collective où les engins les plus subtils viennent à son aide. Ce n’est nullement une raison pour qu’il cesse de penser, de combiner, de perfectionner ; tout au contraire. Parce qu’il se sert d’une machine, il n’a pas à devenir