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autant que si on se déplaçait fructueusement. Quand on est obligé de se baisser pour prendre chaque brique, on ajoute une peine stérile à celle que comporte la pose normale de cette brique sur sa rangée. De même, pour un pelleteur, il existe une certaine charge d’environ 10 kilogrammes par jet de pelle qui correspond à un rendement maximum. Les gestes successifs de ce pelleteur doivent avoir de plus chacun leur durée propre, pour enfoncer la pelle, la retirer bien chargée, et la lancer enfin à une distance horizontale convenable.

N’importe quelle opération, même très raffinée, donne lieu, quand on l’analyse, à une observation semblable. Mais le tout n’est pas de tracer ainsi un programme théorique de travail. L’adaptation prudente de celui-ci n’est pas moins importante à combiner. Si l’on se borne à chronométrer des durées de mouvement et si on prétend imposer dans une usine quelconque, du jour au lendemain, les résultats du système, on marche à un échec fatal. Une fois le rythme fixé avec soin, on doit avoir la patience de l’assimiler à la psychologie ouvrière.

Tout d’abord, chaque tâche ne convient pas à tous les types d’ouvriers. C’est le cas de mettre le « vrai homme à sa vraie place. » Par exemple, pour bien charger des gueuses de fonte, il faut ne penser à rien, avoir la mentalité d’un bœuf qui laboure ou d’une machine. C’est à de tels hommes seulement qu’on appliquera ici la méthode, et encore faute d’avoir pu employer de préférence le bœuf ou la machine eux-mêmes. On prend quelques individus de ce genre, particulièrement avides de gain ; on leur offre de doubler leur salaire sans se donner de peine et on excite leur amour-propre, en leur disant : « Pendant une journée, faites exactement tout ce qu’on vous dira pour marcher, vous asseoir, vous reposer, etc., et vous verrez le résultat ! » L’ouvrier obéit, est fier du succès qu’il a obtenu et, peu à peu, son exemple entraine les autres. Dans la sélection qui se produit de cette manière, tous ne réussissent pas également. Il importe, pour le bon effet, que les meilleurs reçoivent un accroissement de bénéfice notable et immédiat et que les plus mauvais ne pâtissent pas, mais soient seulement dirigés vers un autre travail, auquel ils sont plus propres.

On voit aussitôt un premier inconvénient du Taylorisme. Outre les recherches préalables qu’il force à recommencer dans chaque industrie, il impose à l’ingénieur dirigeant une pratique