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Voilà l’œuvre par excellence, la gloire du roi-soldat. Tandis qu’il parle et qu’on l’acclame, je ferme les yeux, je revois en esprit les images de cet autre temps, si proche et déjà si lointain, — une surtout, cette photographie qui le représente tête nue, en capote d’uniforme, assis, le casque à la main, las, boueux, au retour de quelque visite des tranchées. Il ne porte pas sur ce portrait le lorgnon qui voile ordinairement son regard et donne à son visage réfléchi un air d’étudiant. Les yeux pensifs interrogent avec une expression de fatigue infinie, les mains se posent sur les genoux. Les cheveux défaits, collés à la moiteur des tempes, le vaste front de lumière, ce regard anxieux dans l’ombre, quelle image de la douleur morale, de la résignation ! Quel émouvant Ecce homo ! Roi sans panache, roi de cette guerre si longtemps morne, austère, quels durent être plus d’une fois ses doutes, son ennui ! Nul faste dans son attitude, rien pour l’applaudissement et pour la galerie : rien que la tâche à accomplir, le rude métier de roi, le souci quotidien qui le faisait, en son haut rang, comme un frère aîné des pauvres gens qui peinaient avec lui. De là cette bonhomie qui le rendait, dans le service, familier, abordable, camarade avec le plus humble ; peut-être qu’il trouvait dans l’égalité militaire un bienfaisant relâche de la politique et de l’étiquette. Il s’y sentait tenu à moins de surveillance. Il lui arrivait de s’égayer, parlant de ses glorieuses misères avec une philosophie de poilu : « Nous sommes acculés à l’héroïsme, » disait-il avec son lent sourire. Et je me rappelle cent anecdotes de sa simplicité, celle du petit lieutenant de chez nous qui étourdiment lui demandait passage dans sa voiture, le prenant pour quelque officier supérieur. « Il m’appelait mon commandant, contait le Roi en s’amusant du quiproquo. Je le laissai aller, il était si gentil ! Il me parlait tout le temps de ma femme. Il avait la bonté de m’en dire du bien... »

Le voici qui revient dans sa capitale en vainqueur. On le trouve mûri, grandi. Il a pris à la guerre plus d’assurance, d’autorité. Il sort raffermi de l’épreuve. Il apporte aux représentants de la nation, non des ordres, mais les résultats de son expérience, le fruit de ces quatre ans de méditations. Il trace un programme d’avenir et, tout de suite, de travail : réparations à la Belgique ; plus de neutralité ; union sacrée des partis, discipline dans la paix comme elle a régné dans l’armée ; puis les