Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre, pour comprendre tout le sens de chacune d’elles : diptyque incomparable dont l’unité est faite par la personne du Roi.

Il entre par la gauche, seul, gravit d’un pas jeune et rapide la tribune ; longue, interminable ovation. Il attend, abrège l’émotion, commence son discours d’une voix forte qui surprend ceux qui ne l’ont entendue que dans la causerie, où il parle presque à voix basse. Début d’un mouvement héroïque, juvénile : « Je rentre à la tête de mes armées, à travers nos campagnes et nos provinces délivrées. »

Il lit debout, posément, avec force, sans effet oratoire ; harangue sobre, sans nul ornement, d’un bel ordre, où chaque mot porte. Il s’adresse aux représentants de la nation ; il vient « rendre compte. » D’abord, en quelques lignes, un résumé des faits : la retraite, la défense pied à pied du territoire ; puis, l’arrêt obstiné sur les lignes de l’Yser ; la longue stagnation de quatre ans, et enfin, quand les circonstances sont redevenues favorables, l’assaut, la victoire, la conquête de la crête des Flandres. Cet abrégé ne dit pas tout : il ne dit pas le rôle moral de la Belgique, rôle essentiel, prépondérant, qui a mis en jeu tout d’abord l’Angleterre, c’est-à-dire les flottes, le blocus, la guerre sous-marine, et par contre-coup l’Amérique, si bien que la faute capitale à laquelle l’Allemagne succombe, c’est ce crime initial (où elle voyait son salut) de l’invasion de la Belgique.

Le Roi ne dit pas non plus son rôle personnel, peut-être le plus beau chapitre de son histoire, cette longue période de quatre ans, inerte en apparence, passée dans le silence à refaire l’armée, sous le feu, dans la fange des tranchées de l’Yser. Qui sait, sans la présence et l’énergie du Roi, sans sa volonté de durer, sans sa ténacité à demeurer parmi ses troupes, ce qu’il serait advenu de ces lambeaux exténués qu’il ramenait vers Dixmude en 1914 ? Ces débris misérables auraient achevé de se dissoudre dans les boues de l’hiver. A ce moment, le Roi fut le point d’appui de son armée. Il la soutint comme on supporte un nageur qui se décourage. Il l’accrut, l’exerça, lui rendit confiance ; ses quarante mille fusils devinrent plus de cent mille ; il quadrupla l’artillerie, et finit à force de soins par faire de son armée en ruine cette troupe de premier ordre qui fit ses preuves avec éclat le 28 septembre, bouscula l’ennemi en bataille rangée.