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faut se livrer à une périlleuse escalade suivie de dangereux rétablissements. « Il n’y a ni sièges, ni tables ; nous sommes assis sur nos bagages, nous mangeons sur nos malles... » Pas de feu, au début, et le thermomètre descend à vingt degrés ! Le froid est si âpre que, la nuit, les prisonniers sentent leurs vêtements raidis sur eux par le gel, car ils couchent tout habillés.

— Ah ! s’écrie un jour l’un d’eux, qu’on me fusille et qu’au moins, ce soit fini !...

L’eau fait complètement défaut. On n’en trouve qu’au loin dans des fossés ou des puits où la température excessive l’a convertie en glace. Pour mieux martyriser ces hommes habitués à des soins minutieux de toilette et d’hygiène, on leur impose le supplice de la plus répugnante malpropreté. La vermine grouille dans la grange et l’étable. Pour se nettoyer, ils n’ont que la neige. En fait de matériel, ils ne disposent que d’une unique cuvette émaillée. Force leur est de se servir de celle-ci comme vase de nuit ! ! ! Le matin, ils la frottent de neige avant de l’aller tendre au distributeur de « jus. »

L’alimentation est non seulement détestable, mais insuffisante. Le matin, infusion noire et distribution de pain avec douze grammes de marmelade ou autant de pâté ; à midi, soupe de céréales ou de légumes secs. Une infusion de feuilles, dites de thé, constitue le souper. Une affiche apposée à la porte de la grange établit que la ration quotidienne de pain doit être de quatre cents grammes et celle de viande de cent grammes par semaine ; mais les prisonniers sont constamment frustrés par leurs gardiens qui s’attribuent une part de leurs rations. Privés de tout colis de France, ils deviennent bientôt d’une maigreur effroyable : « Nous vivions exclusivement de soupe aux grains (orge, avoine, gruau), ou à la farine et à la semoule. Cette dernière, que nous appelions la « colle, » était particulièrement appréciée. En raison de sa consistance, elle donnait l’illusion d’être plus nourrissante. Nous étions si affamés que j’en ai vu ramasser des croûtes de pain qu’avaient jetées, après avoir tenté de les grignoter, les plus vieux d’entre nous... Les Allemands défendaient qu’on nous vendît le moindre aliment. Pour nous avoir apporté quelques œufs et des pommes de terre, un soldat fut condamné à deux ans de forteresse. » Aussi, les maladies vont se multipliant. Dès le surlendemain de l’arrivée, on signale de grands malades. M. Buisine est du