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nombre. Sa gorge s’est enflammée : il souffre atrocement. Pendant un mois et demi, on le laisse croupir, sans aucun secours, dans l’infecte grange ; puis on l’emporte sur un traîneau vers Wilna, où il meurt. A son tour, le président Bosquet ne tarde pas à décliner ; après une longue agonie, une crise d’urémie l’emporte. Ce fatal dénouement était inévitable. Ces morts sont autant d’assassinats à la charge des Allemands. Et la liste n’est pas close. M. Neuillès, adjoint au maire de Maubeuge, a été enlevé lui aussi. Agé de soixante-douze ans, il avait contracté une mauvaise bronchite au cours du voyage. « Ses concitoyens, écrit M. G..., nous racontent pour quel motif il fut désigné comme otage. Il avait dû, en sa qualité d’architecte, s’occuper de l’aménagement, en musée, du bazar « Au Pauvre Diable, » où furent transportés les pastels de La Tour. Un jour, dans la rue, il est hélé par un officier de la Kommandantur :

— Les clés du musée ?

— Je ne les ai pas sur moi. Elles sont à la mairie.

— Allez me les chercher de suite.

— Vous avez des soldats, vous pouvez les faire prendre, répond M. Neuillès ; mon service m’appelle ailleurs.

— Vous ne voulez pas aller me les chercher ? s’exclame l’officier furieux. Eh bien ! vous me payerez ça...

Quelques jours plus tard, M. Neuillès recevait l’ordre de partir. Pris au dépourvu, il se mit en route avec une petite valise contenant à peine le nécessaire pour un court déplacement. Mal défendu contre le froid, il en fut victime et mourut sur le fumier de l’étable où il s’était affalé à son arrivée. »

La nuit, il n’était pas rare d’entendre un des otages gémir, râler... Au matin, on le trouvait mort. Les médecins français se multipliaient auprès des malades, mais ils ne pouvaient que les encourager par leur présence. Aucun médicament ne fut jamais distribué : « Bien des fois, dit M. G..., j’ai entendu un des docteurs s’exclamer :

— Ah ! si seulement j’avais de l’huile camphrée, de la caféine, je sauverais un tel... Si on ne fait rien, il n’y sera plus dans quelques jours. »

Durant les premières semaines, vingt-cinq otages meurent à Milejghany. Avant que le corps ne fût mis en bière, les soldats le déposaient dans un réduit. Les rats, — de gros rats gris.