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Il y a un mémoire de Richelieu, sur la question d’Alsace. Richelieu y examine l’intérêt de la France : occuper l’Alsace était posséder un glacis par lequel on empêcherait l’ennemi d’envahir le royaume ; en outre, il serait « honteux et préjudiciable au service du Roi » de répondre mal à des gens qui imploraient la protection de la France. L’honneur compte !… Mais les syndicalistes boches, l’année dernière, quand on entrevoyait déjà l’éventualité de nous rendre l’Alsace, crièrent comme des industriels dépossédés : ils manqueraient de potasse ; voilà tout l’argument de ces doctrinaires.

En 1637, Melchior de l’Isle s’étant querellé avec les bourgeois de Colmar, Louis XIII le blâme, lui ordonne d’éviter tous incidents capables de lui « aliéner » les Alsaciens : « Mon intention est que vous agissiez et parliez avec toute douceur et témoignage de bonne volonté en tout ce qui regarde le bien et le soulagement des villes alsaciennes. » Au mois de juin 1640, un commandant français qui entre dans Haguenau dit aux habitants : « Je ne serai pas seulement le gouverneur de la ville, je veux aussi être votre père. » Et, le 29 août 1643, Mazarin écrit aux Alsaciens : « L’inclination que vous avez eue de tout temps pour la France oblige tous les bons Français d’en avoir du ressentiment. » Cela veut dire, d’en garder le sensible souvenir.

Est-il vrai que l’Alsace ait toujours eu pour la France l’inclination que dit Mazarin ? Le livre de M. Batiffol répond à cette question par des faits.

Sous les Mérovingiens et les Carolingiens, l’Alsace, rattachée au pays franc, subit les tribulations de ce pays. En 843, au traité de Verdun, l’Alsace est rattachée à la Lotharingie. Ce n’est pas la Germanie : c’est une zone intermédiaire entre la Germanie et la France, la région située entre le Rhin, la Meuse et l’Escaut. Lothaire II fut roi de Lotharingie lorsque son père se retira au couvent. Mais bientôt Louis le Germanique se jette sur l’Alsace, la conquiert, se déclare rex in Alsatia. Voilà comment, en 855, l’Alsace fut incorporée à l’Allemagne, et non de son plein gré, non pour avoir appelé les Germains comme, sous Louis XIII, elle réclame les Français : elle a été conquise, et contre la foi des traités, malgré elle. « Or, dit M. Batiffol, ni la France ni l’Alsace n’allaient accepter ce qui venait de se passer ; par un instinct obscur, les deux pays comprenaient la gravité de l’acte qui s’accomplissait. Elles allaient lutter pendant un siècle et demi ; et la France allait attaquer la Germanie six fois pour empêcher que la rive gauche alsacienne ne restât germanique. « Trois fois, la