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vainqueur sous la coupole, Renan s’était écrié : « Oh ! la belle séance que celle où on le recevra ! Comme les places y seront recherchées ! » Tout à l’heure, quand M. Richepin lira ce passage, l’assemblée rira de le trouver si juste. Longtemps après que les discours ont commencé, on entend encore dans un couloir lointain des protestations, des réclamations, une voix de femme…

À une heure, au roulement des tambours, M, Richepin prend place au bureau, entre M. Denys Cochin et M. Doumic. Les membres des cinq académies entrent et prennent place. Tout à coup, dans le cadre noir de la petite porte, on voit un uniforme, une stature puissante, un visage clair, des cheveux couleur de vermeil dédoré. Toute la salle applaudit, debout, le maréchal Joffre. Ses portraits ne donnent guère une idée de lui. Ils durcissent ses traits. Cet homme du Midi a le teint frais d’un Flamand. Le front bien modelé s’achève par des sourcils épais et blonds. Les joues pleines se raccordent à la moustache. Les yeux et la bouche ne paraissent que comme des taches d’ombre sans contour, mais dans cette ombre on devine le regard et on lit le sourire. Vieil usage de soldat : il répond aux acclamations par le salut militaire. Une seconde salve d’applaudissements : c’est le président Wilson. Il prend place au premier rang des académiciens auprès de M. Poincaré. Au milieu de tous ces uniformes chamarrés, ces deux hommes en jaquette représentent deux des plus grandes nations du monde. À droite de M. Wilson, M. Bergson, et plus loin M. Boutroux.

Le maréchal a pris au milieu de ses confrères la place traditionnelle, près du petit pupitre où tient juste un verre d’eau. Son manuscrit a le format d’un petit in-octavo. Il commence à lire, d’une voix un peu grasse, avec un accent arrondi : « Le 21 février 1889, Jules Claretie prenait séance au milieu de vous… » Il rappelle que Renan se demandait alors si les hommes de la Révolution avaient fait quelque chose et préparé l’avenir. Et sa voix s’émeut, s’assourdit et se scande pour répondre : « Ils avaient fondé cette grande et belle nation, protectrice du droit, amoureuse de la liberté, qui, à l’été de l’année 1914, opposait les poitrines de ses fils aux coups déloyaux des champions de la barbarie. »

Il fait ensuite, tout en s’en défendant, un portrait de Claretie, et ce portrait est excellent. Ce sont des fragments des carnets, mais choisis de façon à peindre l’homme, « Aimer le vrai et le simple, être droit et adroit, clair et net, faire de son mieux et laisser dire. » Le maréchal a détaché ces deux dernières maximes. Pour la première fois, il a fait un geste, de l’avant-bras droit, non pas un geste d’acteur,