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Et voilà que ces deux orgueils s’effondrent, tout à coup, dans la même catastrophe : l’orgueil militaire est brisé en des combats tels que l’humanité n’en avait point vu encore ; l’orgueil intellectuel a sombré misérablement en des orgies de cruauté, de vilenie, de malfaisance qui. s’en vont rejoindre, dans les temps les plus ingrats de l’histoire, les pires excès des hordes barbares.

On n’oubliera jamais les dévastations sans excuse de Malines et de Louvain, d’Ypres, d’Arras, de Sentis et de Soissons, de la Somme. Jamais on n’oubliera le bombardement et l’incendie de la cathédrale de Reims.

C’est « le Crime allemand, » le forfait qui se détache en relief sur tous leurs forfaits ; non pas le pire, peut-être, — ils en ont tant commis et de tels ! — mais le plus impardonnable parce qu’il est à la fois sacrilège et stupide et qu’il révèle, par son inutilité, le fond le plus noir de la malfaisance allemande.

Que cette idée ait germé dans l’esprit du maître responsable ou qu’on la lui ait suggérée ; qu’elle ait pu être formulée tout haut et discutée dans des conseils ; qu’elle ait pu cheminer ainsi, à travers des cerveaux allemands, jusqu’à la main, qui ne raisonne plus, des artilleurs prussiens, jusqu’à la gueule des canons de Berru, sans que des protestations indignées lui barrent la route ; qu’elle ait été réalisée froidement, méthodiquement, avec persistance ; qu’elle n’ait pas ensuite révolté l’opinion de l’autre côté du Rhin ; que pas une voix, sur les cimes du savoir germanique, n’ait osé crier sa réprobation, pour l’honneur au moins d’une élite, c’est plus qu’il n’en faut pour attester la faillite de cette culture et mettre ce peuple au ban de la civilisation.

Les Allemands ont fait du mensonge une arme de guerre, un élément de la défense nationale. Ils pourraient redire avec les potentats païens que fustige Isaïe, au chapitre des Malédictions :


Nous avons compté, spéculé sur le mensonge, Posuimus mendacium spem nostram ![1].


Ils ont menti comme jamais on n’avait menti encore. Ils ont menti partout, à propos de tout, avec un aplomb, une désinvolture qui en imposaient au monde entier. Ils s’en font gloire.

  1. Is. XXVIII, 15.