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devaient faire, ni les diriger dans l’intérêt commun. Le Roi a décidé l’année dernière du sort de la France en paralysant l’Armée d’Italie, puisqu’il en est résulté une différence de 60 000 hommes à notre désavantage. M. Baudus doit lui faire sentir : « qu’il a perdu la France en 1814 ; en 1815, il l’a compromise et s’est perdu lui-même. »

Dans l’agitation où est Murat, il voudrait une solution immédiate, et il est obligé d’attendre Baudus qui n’arrivera que le 9. Aussi, pour gagner du temps, a-t-il expédié à Paris son secrétaire, Auguste de Coussy : mais, à quelques lieues d’Avignon, Coussy a été arrêté et entièrement dévalisé par cinq ou six bandits habillés en paysans et armés de fusils. C’est ici un de ces accidents qui vont à présent traverser à tout instant cet homme, jusque-là presque toujours heureux. Comment va-t-il prendre l’interdiction de venir à Paris ? Comment admettra-t-il la sentence prononcée par l’Empereur, lui qui vient de prendre l’attitude de l’allié fidèle qui s’est sacrifié pour la France, et auquel la France a toutes sortes d’obligations. « J’ai perdu pour la France la plus belle existence, a-t-il écrit à Mme Récamier qui, parce qu’elle a assisté, collaboré peut-être, à sa défection de 1814, est devenue sa confidente et qui lui paraît qualifiée pour lui faire connaître l’opinion de la France et de l’armée à son égard. J’ai combattu pour l’Empereur : c’est pour sa cause que ma femme et mes enfants sont en captivité ; la patrie est en danger, j’offre mes services : on en ajourne l’acceptation. Je ne sais si je suis libre ou prisonnier. Je dois être enveloppé dans la ruine de l’Empereur, s’il succombe, et l’on m’ôte les moyens de le servir et de servir ma propre cause. » Et il accuse directement l’Empereur. Il dit : « Quand, en arrivant, je lui témoigne des sentiments généreux et je lui offre de combattre pour la France, je suis envoyé dans les Alpes. Pas un mot de consolation n’est adressé à celui qui n’eut jamais d’autre tort envers lui que d’avoir compté sur des sentiments généreux, sentiments qu’il n’eut jamais pour moi. » Et il conclut : « Il faut savoir tout supporter et mon courage est supérieur à tous les malheurs. Tout est perdu fors l’honneur : j’ai perdu le trône, mais j’ai conservé toute ma gloire ; je fus abandonné par mes soldats qui furent victorieux dans tous les combats, mais je ne fus jamais vaincu… »

À cette confidente inattendue, il a demandé l’opinion de