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criant à toute voix : « Sauvez-nous la vie ! Sauvez-nous la vie ! » Le capitaine, Michel Bonelli, « dans la persuasion que ces hommes, auraient infailliblement péri s’ils étaient restés sur le petit bateau pendant la nuit, attendu la force du vent qui augmentait de plus en plus, se décida à les prendre à son bord. » Ils n’avaient en fait de provisions qu’un petit sac de galettes, un petit baril de vin, et un peu d’eau, sans aucune sorte d’effets ou de bardes. « Bonelli leur ayant demandé le motif de leur rencontre en mer dans cet état de détresse, ils lui répondirent qu’ils étaient officiers de marine qui, pour se soustraire aux persécutions dont ils étaient menacés et crainte d’être assassinés, résolurent de prendre le petit bateau en question et s’enfuir pour sauver leur vie. »

C’était la scène convenue. Sur le bateau de correspondance étaient embarqués le capitaine de frégate Oletta, et le commissaire des guerres Galvani[1], qui étaient dans le secret et avaient part à la mise en scène. Mais il avait fallu sauver les apparences et ménager aux autres passagers les moyens de ne pas être compromis : ce pourquoi le Roi parut sous le nom de Campomele. Ni l’ex-sénateur comte de Casabianca, ni Rossi, le neveu de Bacciochi, ni Boerio, le neveu du duc de Padoue, ne reconnurent le Roi Franconi en cet homme à la longue barbe, aux gros souliers, au pantalon de drap bleu, au carrick puce à collets superposés, coiffé d’un bonnet de soie noire ; car le vent avait emporté son chapeau. Des trois individus qui l’accompagnaient, aucun ne pouvait se faire remarquer. D’ailleurs, pour plus de sûreté, ou plus de discrétion, certains des passagers s’enfermèrent dans la cabine et n’en sortirent qu’à l’arrivée au port.

Après une vaine tentative pour débarquer à Macinagio, le Roi arriva sans encombre à Bastia où le 25, à la pointe du jour, la Santé laissa les quatre passagers prendre terre, malgré qu’ils ne fussent point portés sur le rôle de départ. Ils se dispersèrent alors[2], et Galvani, resté seul avec le Roi, le

  1. Galvani affirme avoir été mis dans le secret : d’autres semblent disposés à croire qu’il se présenta au Roi seulement après le débarquement, Oletta se donne tout le mérite d’avoir combiné tous les détails avec l’argent du Roi.
  2. Blancard, Anglade et Donnadieu, arrêtés à Bastia le 25, remis en liberté quelques jours après, sous la caution du commandant Oletta, rejoignirent le Roi au Vescovato, refusèrent alors de le suivre dans son expédition, mais réclamèrent de lui un secours qui les mît quelque temps à l’abri des persécutions des Bourbons. « Murat signa à chacun d’eux, sous forme de décret, une délégation sur les biens de la Couronne de Naples, de la somme de 20 000 francs, à laquelle la Reine fit honneur autant que ses moyens le lui permirent. »