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Le lieutenant Serra évacua en effet le Vescovato avec ses gendarmes. Désormais le Roi tint sa cour dans la maison de Ceccaldi où affluèrent bientôt tous ceux qui avaient servi dans son armée : les lieutenants-généraux Gentile et Ottavi, le colonel Natali, le commandant Galeazzini, quantité d’officiers subalternes, de sous-officiers et de soldats. Cela fit un point de rassemblement où l’on venait des divers villages de l’au delà des monts. Il faut penser que, à son dire à lui-même, Joachim Napoléon avait eu dans son armée plus de deux mille officiers corses. Or c’était là une de ces occasions de déplacement chères aux insulaires qui trouvent à parler, à discourir et à se griser d’illusions, de mots et de discours.

Murat ne manqua point de leur distribuer des grades et des décorations, mais, comme ils ne faisaient que passer, le nombre de ceux qui formaient au Vescovato un noyau de garde royale n’était pas bien considérable. Selon une note du nommé Ferrari, cuisinier chargé de toutes les dépenses, la table où dînait le Roi coûtait de trente à quarante francs par jour, et il y avait peu de monde. À l’autre table, et à l’auberge où quelques personnes étaient nourries, la dépense n’allait pas au-dessus de cinquante à soixante francs par jour. C’est tout ce qu’on pouvait faire, ajoute Ferrari avec une expression de regret, dans un village comme le Vescovato. Si bon marché que fussent les vivres, et si frugale que fût la pitance, cent francs n’eussent pas suffi pour une armée.

Le colonel Verrier ne pouvait ignorer pourtant que le colonel Natali, promu maréchal de camp, avait été chargé par le Roi de l’organisation de compagnies composées autant que possible d’anciens soldats ; que Franceschetti avait mandé à des courtiers de Bastia de noliser des navires et de les diriger sur « le littoral du Vescovato ; » que le Roi avait appelé en Corse un ancien officier de la marine napolitaine, le baron Barbara, qui se trouvait pour le moment à l’Ile d’Elbe, et qui était réputé pour sa pratique des côtes de Calabre. Tous ces préparatifs et bien d’autres pouvaient à bon droit sembler suspects, et le colonel Verrier se trouvait en droit d’écrire à M. Colonna-Ceccaldi une lettre où il rappelait les promesses que celui-ci lui avait faites le 26 août : que la présence du général Murat ne troublerait en rien la tranquillité de la Corse. Pourtant, ajoutait-il, le général a levé un petit corps de troupe de 200 hommes