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sage, quand nous allions à la ville pour Noël ou la Saint-Nicolas. Voici la chapelle de Mainville, la chapelle d’Anoux, — et « le château des demoiselles de Bécary » miraculeusement intact au milieu de toutes ces destructions. Et enfin voici Briey, avec les vieux remparts féodaux de sa ville haute, son clocher bizarre, la gloriette de la sous-préfecture toujours dressée sur la grosse tour ronde de l’enceinte médiévale. Nous descendons la côte de Lantefonlaine et nous nous arrêtons sur la Place des Tilleuls à l’endroit où les Allemands fusillèrent, au début de la guerre, mon camarade de collège, Léon Winsback : les trous des balles sont toujours visibles dans le mur. Personne sur la place. On dirait que la ville est déserte. Un silence angoissé, une sorte de stupeur accablante semble peser sur elle, la stupeur qui suit les grandes crises et qui annonce la convalescence. On sent que la vie va renaître, mais elle hésite encore : il lui faut le temps de reprendre confiance. La délivrance a été si soudaine, les événements ont marché si vite que nos pauvres gens n’osent pas croire à tant de bonheur. Timidement ils nous saluent. Un pâle sourire, le « souris entrecoupé de larmes, » dont parle Ronsard, éclaire le visage des femmes qui surgissent entre les rideaux des croisées, ou sur le seuil des portes pavoisées de drapeaux tricolores.

Les drapeaux et les guirlandes se multiplient à mesure que nous avançons à travers le pays minier, par la vallée du Wagot et par la vallée de l’Orne. Et pourtant, malgré cet air de fête, les cœurs sont encore brisés. Les yeux qui nous regardent avec un éclair de joie sont noyés de pleurs. On étouffe à la fois d’allégresse et de tristesses contenues. D’ailleurs, devant ce cordon presque ininterrompu de maisons ouvrières qui bordent la route entre Briey et Auboué, beaucoup de visages complètement fermés apparaissent. Ces figures de nuit sont des Allemands, qui évitent le regard, qui ne veulent rien voir de la joie française, qui font le silence et la solitude autour d’eux…

Mais cette impression d’accablement se dissipe dès que nous avons franchi l’ancienne frontière. Nous sommes maintenant dans la véritable « Lorraine annexée. » Nous frôlons l’ancien poteau allemand, barbouillé de rouge, de blanc et de noir, avec son Deutsches Reich en exergue sur l’écusson : il penche, à demi déraciné, au bord du fossé de la route. Pourquoi ne l’a-t-on pas complètement abattu ?… Là-bas, au bout de