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ébranlent les pavés devant les décrottoirs des maisons. Les drapeaux de la France et de ses alliés flottent à toutes les fenêtres, au portail de la mairie, sur le clocher de l’église. Nos poilus montent la garde devant les casernes de Moulins. C’est bien la France qui revient, qui, fébrilement, nettoie sa maison reconquise et qui se réinstalle. Le ronflement continu des moteurs couvre le vacarme des tramways de banlieue, où s’empilent les uniformes bleus et les uniformes kaki, où les bonnets de police de nos troupiers voisinent avec les casquettes plates des employés allemands toujours en fonctions… Nous voici dans les faubourgs de Metz. En coup de vent, Longeville se déroule des deux côtés de la route, puis Devant-les-Ponts et ses réseaux de voies ferrées, la Moselle, le Rempart Belle Isle, les quais, la masse brumeuse de la cathédrale avec sa flèche en mât de navire…

Et des images qui datent de quarante ans se réveillent dans mon souvenir. Je me rappelle nos entrées à Metz, quand nous venions de Briey sur la diligence du père Laurent ou dans les « citadines » de Frantz, le loueur de voitures. Instinctivement, tandis que nous enfilons le Pont-des-Morts, je cherche sur ma droite la boutique du pharmacien Gueury et le pharmacien lui-même coiffé de sa calotte de velours ; à gauche, je reconnais la silhouette trapue de Saint Vincent, ses balustres et ses pots à feu ; et quand nous avançons vers le quai Saint-Louis, je retrouve au premier étage de la maison d’angle, le petit balcon où notre tante Forfer, sous son bonnet à tuyaux, entre deux pots de géranium, se penchait pour saluer notre arrivée. Hélas ! les pots de géranium ont disparu, et aussi la vieille dame et son bonnet, mais le balcon et l’antique logis n’ont pas bougé. Ce quai Saint-Louis, c’est un coin de l’ancienne France qui a résisté à toutes les profanations de l’envahisseur.

Nous avons franchi les deux ponts de la Moselle. Nous sommes maintenant au cœur de Metz. La foule militaire est si dense, dans ces rues étroites, que l’on ne peut avancer que très lentement. Au milieu de cette cohue, les capotes bleues de nos soldats dominent. Il y en a beaucoup, beaucoup, de ces soldats de France dans les rues de notre vieux Metz ! Ah ! comme cela fait du bien de les regarder, comme le cœur se dilate, quelles bonnes larmes on savoure !… Pour comprendre, pour sentir cela pleinement, il faut être de chez nous, il faut avoir, pendant