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et d’argent déchire l’espace. D’un geste rigide et dominateur, d’un seul mouvement en une explosion farouche, les clairons s’érigent vers les nues, comme pour convoquer à cette fête, des quatre coins de l’horizon, tous les morts héroïques, tous les martyrs obscurs de la grande guerre. Les sonneries françaises emplissent le ciel de la terre reconquise. Une émotion terrassante étreint, en cette minute, toutes les âmes… Les Messins qui sont là évoquent une scène déjà vieille de huit ans et qui fut réellement la préfiguration de celle-ci. C’était pendant l’été de 1910, un beau dimanche ardent et splendide. À la fin d’un après-midi écrasé de chaleur, une rumeur mystérieuse se répand en ville : les gymnastes de Samain, tous enfants de Metz, avec leurs insignes et leurs costumes français, vont défiler en pleine rue. À l’heure dite, chacun se précipite aux portes et aux fenêtres. Sur la place d’Armes, autour de la statue de Fabert, au milieu des policiers allemands qui les surveillent, des officiers qui s’enquièrent de ce qu’il y a, — les Français attendent le passage des audacieux jeunes gens. Un silence lourd pèse sur la multitude, un silence religieux, effrayant, comme à l’approche d’une catastrophe… On les voit venir, ces annonciateurs de la Délivrance ; leurs vareuses blanches, leurs képis rouges resplendissent, et, soudain, dans cet air embrasé, chargé des plus extrêmes émotions, les clairons de France éclatent en une sonnerie douloureuse et triomphale. Rien. Pas un cri, pas un applaudissement au milieu de cette foule ivre de la Patrie qui passe. Le visage contracté de fureur, les policiers, les officiers allemands assistent à ce drame muet, et, quand leurs yeux croisent ceux des vaincus, ils peuvent y lire déjà comme une revanche et comme une promesse de victoire…

Cette scène inoubliable, nous l’avons tous présente à nos mémoires, tandis que les clairons sonnent. Ah ! quelle joie nous emporte ! Cette fois, c’est la joie sans contrainte. C’est l’hosanna clamé à pleine poitrine… Mais les troupes s’ébranlent pour la revue, précédées par la musique américaine, qui joue la Marseillaise. Ils défilent pendant près d’une heure. Cette revue fut vraiment unique et merveilleuse par l’intensité du sentiment qui, du plus humble des soldats jusqu’au maréchal de France, tendait à les briser toutes les fibres et faisait fulgurer tous les yeux. Lorsque les officiers passaient, le cou rejeté en arrière, les yeux fixes et en quelque sorte hallucinés, l’épée