Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

frémissante au bout du bras tendu, comme pour une oblation de tout leur sang et de toute leur âme à la Patrie, — en cette minute, la figuration officielle avait disparu : il n’y avait plus alors, planant par-dessus nos têtes, que la France invisible et omni-présente, la France ressuscitée, vers qui montaient les regards extatiques de ces jeunes soldats, la France debout sur ses trophées rajeunis, plus belle d’avoir été sauvée au prix d’un tel amour et de tels sacrifices. Cette beauté éclate avec une si radieuse, une si poignante évidence, qu’elle arrache un cri d’admiration à un des personnages officiels :

— Ah ! que c’est beau ! que c’est beau !

Celui qui a poussé ce cri, c’est Léon Mirman, mon ancien camarade de l’École normale, le représentant, à Metz, de la République française. Je vois la flamme de ses yeux, le rayonnement de son visage. Et voici qu’un très ancien et très émouvant souvenir remonte pour moi du fond de notre commun passé… Mirman, te souviens-tu de ce soir du 2 décembre 1885, où, dans une salle obscure de la rue d’Ulm, à l’occasion de cet anniversaire historique, avec une sincérité candide et un art déjà très exercé du bien dire, tu nous récitas les vers épiques de l’Expiation ? Ce soir-là, je me le rappelle, tu avais dans les yeux et sur le visage le même rayonnement et la même flamme. Nous nous connaissions à peine, et, néanmoins, par une sympathie subite et inexplicable, j’allai vers toi. Maintenant je sais pourquoi. Sans aucun doute, j’avais le pressentiment que ce serait toi qui, dans Metz purifié, présiderais à l’expiation de la honteuse iniquité de 1870 ; qu’un autre jour de décembre, radieux celui-là et illuminé par la victoire, les soldats de notre pays fouleraient de leurs souliers encore boueux de la bataille notre vieille Esplanade messine, que la France rentrerait chez elle, — et que nous serions là, tous les deux, pour voir ce grand jour…

À ce point d’exaltation, les paroles ne peuvent plus traduire les sentiments : il n’y a que les larmes. Je considère ceux qui sont assis sur la tribune, devant qui et pour qui défilent les armées de la République. Les deux Présidents n’essaient pas de dissimuler la violence de leurs émotions. Leurs yeux sont humides. Ils pleurent des larmes silencieuses. Ces larmes des puissants, quel plus beau témoignage de l’humaine faiblesse ! Dans cette atmosphère d’enthousiasme, de piété patriotique, qui