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Cugny, c’est le même tableau de pillage, linge, marmites, Bouteilles. Cependant les bonnes nouvelles affluent : Nesle, Chauny, Guiscard sont occupés.

Le 25 mars, notre homme est à Golancourt, près de Guiscard. il est chargé du cantonnement. Après avoir dormi, il va en visiter les abords, et voici ce qu’il voit : « Dans le jardin, le capitaine creuse la terre pour voir si l’on n’a pas caché des choses précieuses. Finger avise avec le T. C. et apporte à manger. Dans le jardin, il y a un paysan mort, le lacet au cou, une blessure à la tête, sa pipe à côté de lui. Mystère ! A-t-il tiré sur nos troupes ? Les Anglais l’ont-ils pendu pour espionnage ?… »

Le lieutenant W… est décidément un bon peintre : on voit très bien ce capitaine allemand fouillant le jardin, à l’ombre du pendu, pour y voler un trésor afin de ne pas rentrer de France les mains vides. Et comme la mauvaise foi boche s’étale avec impudeur dans la réflexion qui de l’ignoble meurtre du paysan veut faire un acte de justice, à moins d’en passer aux Anglais la responsabilité ! Il faut peu de mots au lieutenant W… pour montrer sa race. Et voici qu’il éclate d’orgueil aux nouvelles victoires, comme la chair d’un fruit craque au soleil :


Le ciel est couvert. Un ballon monte en l’air. Très loin gronde le canon. En avant marchent et se battent glorieusement les divisions de première ligne. Nous sommes en réserve d’armée et suivons. C’est dommage ! — On raconte que nos premières lignes sont à six kilomètres au sud de Noyon. Cela va comme le vent. J’ai l’impression que ce ne sont là que des combats d’arrière-garde. Les Français et les Anglais sont chassés par nous. — Hier nous avons vu passer des prisonniers français dans des babils impeccables et dignes d’envie. Ils déclarent qu’ils ont été transportés en camions-autos, de Guiscard sur le champ de bataille. Le matin du 25, ils ont été attaqués par nos troupes et maintenant ils sont pris. De l’autre côté on ne sait où donner de la tête.


Ah ! vraiment, de l’autre côté on ne sait où donner de la tête ! Le jeune lieutenant W… en recevra bientôt la preuve. Le 27 mars, il se plaint de nos avions qui dérangent ses nuits : « Le clair de lune permet à ces coquins de se diriger. » Le vendredi saint 29, il ne dissimule pas sa satisfaction d’avoir bien dormi et bien mangé, — bien mangé, grâce au sac de Noyon, et même il nous donne son menu : soupe aux tomates avec œufs, bœuf aux pommes de terre. Un bon menu pour un vendredi