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précipitait en France avec convoitise, avide de recueillir un sérieux butin. Beaucoup de ses camarades étaient pareillement excités. D’autres interrogatoires, officiers, sous-officiers, pionniers, simples fantassins, attestent une confiance aveugle dans le commandement et dans l’issue des opérations avant l’aventure qui les a fait réfléchir. Dans son carnet de route, le lieutenant de réserve W…, adjoint au chef de bataillon commandant le 9e bataillon du 66e régiment, note ses impressions de marche jusqu’au 30 mars. Son bataillon fait partie du groupe Kintzel. Le 22 mars, il arrive à Saint Quentin :


Saint-Quentin, autrefois une ville très animée. Maintenant, à part les colonnes et les troupes qui traversent, une désolation : maisons dévastées, gare en ruines, poutres, pierres, poutrelles de fer pêle-mêle. Au milieu de tout cela, des colonnes arrêtées, de la cavalerie, de l’infanterie en marche, obligées de se faufiler au milieu des démolitions, des voitures, des chevaux. — Des chevaux hennissent, un fracas enragé de voitures. Des prisonniers anglais, des blessés allemands. Au loin, très loin, le bruit du combat d’artillerie, de plus en plus sourd. Avançons-nous si vite ? Et au-dessus de tout cela, nos avions par le clair après-midi ensoleillé…


Le lieutenant W…. fait volontiers des descriptions pittoresques. Dans la suite de son journal, il en abusera même, jusqu’au dernier croquis qu’il a omis de peindre dans le parc du Plessis-de-Roye. Du 22 au 28 mars, la 7e division est en réserve de la XVIIIe armée (von Hutier) : elle suit la progression générale par Haucourt, Essigny, Grand-Sérancourt, Saint-Simon, Golancourt, Mirancourt, Candor. À partir du 24, elle est assez rapprochée des troupes combattantes pour avoir une vision du champ de bataille : « 21 mars (Rameaux). — Soleil radieux de printemps. Près de notre bivouac, il y a une position de batterie ennemie de quatre canons parfaitement enterrée. Je vais la visiter, je la cherche et ne vois rien — et pourtant je suis sur elle. Quelques douilles gisent éparses, des ceinturons, des fusils, un casque, témoins de la retraite précipitée des Anglais… » Cette retraite n’a pas été sans gloire pourtant, si l’on en croit le même carnet : on y voit un peu plus loin, à Cugny, des cadavres anglais dans le fossé, le visage encore recouvert du masque, et le 5e grenadiers que notre lieutenant interroge, avoue avoir perdu 26 officiers. Quant au village de