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mais, — et chacun le sent au fond du cœur, — qu’on va vers la paix. » La 7e division de réserve ne sera engagée qu’en 4e ou 5e échelon. Et déjà les faux bruits circulent : les armées du prince de Bavière auraient percé, près d’Arras, sur un front de 80 kilomètres et une profondeur de 20. Avant qu’on se soit battu, on se croit vainqueur ! C’est au cours d’une de ces marches de nuit que notre sentimental sous-officier consulte les étoiles et par le chemin des airs rend visite à sa fiancée : « La nuit était étoilée et une brise fraiche soufflait. Il faisait bon marcher, bien que dans l’ombre on se tordit parfois les pieds sur les chemins défoncés. À la longue, le sac pesait lourd aux épaules. Ln peu avant Corny, nous avons fait la pause. Je me suis étalé tout de mon long dans la prairie, à côté de la route, et j’ai cherché à l’horizon la Grande Ourse. En prolongeant sept fois les roues arrière, je trouve l’Etoile Polaire. C’est là le Nord. Maintenant un quart à droite, et c’est l’Est. Je trace une ligne droite entre ces points et me voilà en pensée là-bas, chez nous, auprès de mon aimée. Elle ne songe pas que nous sommes maintenant en route pour la dernière bataille… J’en suis d’ailleurs très heureux. Catherine, tu peux reposer en paix, je veille et je combats pour toi, et aussi pour que, plus tard, nos enfants n’aient pas à vivre les temps pénibles que nous traversons… »

Toutes les marches se font de nuit. Par mesure de précaution, les pattes d’épaules mêmes sont roulées afin que les numéros demeurent cachés. Notre jeune Werther songe plus à sa fiancée qu’à la guerre.

La sombre poésie de la mort, mêlée au charme de la nature printanière et aux souvenirs d’amour, l’environne, le presse, le caresse, pendant ces marches nocturnes ou dans les cantonnements au repos. Un jour, sa compagnie cantonne dans une scierie : « Le murmure de la rivière semble, dit-il, nous chanter de vieux airs du pays. De notre fenêtre, nous avons une vue superbe sur les prés et, par-delà, sur les hauteurs. Entre les pâturages serpente un ruisseau bordé de grands arbres. Le soir, il faisait clair de lune : je suis sorti et j’ai été si bouleversé que j’ai entonne à voix basse notre vieux chant du Weser. À la fin, mon chant remplissait de ses accents mélancoliques le calme de cette soirée. Adieu, temps de félicité ! adieu, rêves d’amour !… « Il relit les lettres de sa fiancée, il s’attendrit sur