Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur séparation. Et songeant à sa mort possible, il lui recommande le calme et la confiance.

Ainsi, déj<à, se détache-t-il de sa propre vie, à mesure qu’il se rapproche du front. Le cœur à vif, il ressent la moindre émotion : une grenouille qu’une bonne femme apprête pour la manger suffit à lui ôter l’appétit. Le 20 mars, l’impatience gagne les troupes qu’un pressentiment collectif avertit de la gravité de l’heure : « Personne ne sait ce qui se passe, mais nous avons l’intuition que demain est le jour décisif, le jour qui décidera de la paix prochaine ou de la continuation de la guerre… » Le lendemain, 21, comme le régiment est mis en marche de très bonne heure sur Saint Quentin, un grondement sourd et continu, venant du front, annonce enfin l’offensive. Le soir :


…le moral de tous est plein de confiance, on n’entend que plaisanteries sur plaisanteries. Nos officiers, eux-mêmes, rient beaucoup. Bientôt, nous nous mêlions en mouvement. Nous allons à Homblières par Origny. La roule est très animée. À Origny, il y a des officiers, des hommes, des habitants sur leurs portes. Tout le monde attend anxieusement des nouvelles du front. On nous fait des signes d’amitié et on nous photographie plusieurs fois. Certains habitants nous regardent d’un air malveillant, d’autres ont les larmes aux yeux. C’est le même spectacle qu’en juin 1915, à Chauny. Sur la route, vont et viennent des camions et des autos de tourisme. Beaucoup de colonnes de munitions et autres attelages. C’est le tumulte des jours de fête. Mais, peu après Origny, arrivent les premiers blessés légers. Cette vue nous rappelle que la guerre est chose très grave, mais ces gens qui, pour la plupart, ne sont pas blessés sérieusement, juste de quoi faire un tour au pays, sont heureux d’avoir échappé à la guerre. Un camarade nous a dit en passant : « C’est fini pour nous ! » À Homblières, tout est encore bondé. Nous allons cantonner dans un vieux château, très endommagé. Malgré tout, nous sommes heureux d’avoir au moins un toit sur notre tête. Tout près, il y a une batterie de canons longs de 15 centimètres. À chaque coup, nous sautons car ces pièces-là ont un effroyable souffle.

On nous dit que Reims serait pris et qu’on y aurait fait 30 000 prisonniers. Nous aurions également percé dans les Vosges. Dans l’offensive, en face de nous, on aurait déjà avancé de 15 kilomètres. Tout est à l’espoir, aux plus grands espoirs, car nous pensons que, peut-être dans quatre semaines, ce sera l’armistice.


Tel est, à l’armée de réserve, le bilan du premier jour de