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Nous sommes encore ici (Rimbercourt, au Nord de Noyon), à L’arrière. Il a encore fait très froid. Il gèle pendant la nuit, et nous gelons aussi. Aujourd’hui j’ai reçu, pour la première fois, des lettres de ma Catherine et des miens, joie énorme pour moi. Ils vont très bien. Mais toutes leurs lettres laissent percer une grosse inquiétude. Ah ! si je pouvais retrouver ces êtres aimés ! J’écris chaque jour alternativement aux miens et à ma Catherine. J’espère que mes lettres arrivent toujours très rapidement. La nourriture devient chaque jour de plus en plus mauvaise. Aujourd’hui, nous ne touchons plus que 300 grammes de pain tout sec. Hier et aujourd’hui, j’ai dû manger beaucoup de pain sec. Et le gâteau que ma sœur aimée m’a envoyé et qui vient de m’arriver n’en a été que plus joyeusement accueilli. J’espère que mes autres paquets me parviendront aussi et bientôt : je les attends avec impatience. Depuis trois jours, notre repas de midi n’arrive plus. Une fois, nous avons eu du singe, et deux fois une soupe claire faite avec des haricots blancs trouvés ici.


Dernières réflexions avant le combat. Le lendemain 29, la division est rapprochée : dans la nuit, elle relève à Lassigny la première division bavaroise fatiguée. Les ordres pour l’attaque sont transmis. Ce sera pour le 30, à sept heures du matin.

Avec ce chœur à trois voix inégales, on croit entendre la 7e division de réserve, et même les divisions voisines, la 5e division de la Garde qui, de Conchy-les-Pots, attaquera sur Biermont et Orvillers, la 103e chargée de prendre le Piémont, et même toute l’armée allemande en marche vers l’Ile-de-France. Le pillard de Noyon, dont les récits se retrouvent dans un grand nombre d’autres interrogatoires, fait le fond de chaque compagnie que la perspective du butin exalte : les convoitises sont allumées, les mains se tendent, les estomacs et les gosiers réclament, la France est le pays qui satisfait tous les appétits. L’orgueilleux lieutenant, plein de superbe et de confiance dans le commandement de Hindenburg et de Ludendorff, est l’image de la plupart des officiers qui croient encore au bon droit allemand, à la mission allemande, au génie allemand et à la victoire allemande, et leur conviction brutale s’est communiquée à leurs sous-officiers et soldats. Quant au sentimental et sympathique étudiant en philosophie, si l’on prend soin de lire avec attention son minutieux et émouvant carnet, on y découvre une lassitude profonde de la guerre à