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bataille : une énorme espérance et de fausses nouvelles. Saint-Quentin anéanti provoque cette réflexion : « Si c’était Brèmel Quel bonheur que nous n’ayons pas la guerre chez nous ! Tout de même, quel apaisement pour moi ! » Des officiers d’artillerie autrichiens rencontrés montrent moins d’optimisme : l’avance serait faible, et l’on se plaint des ravitaillements. Le 24, départ de Saint-Quentin embouteillé pour Essigny-le-Grand. Sur les routes, des chevaux morts, des équipements anglais, des cadavres. On s’est battu là et l’ennemi a dû être surpris. Le 25, marche sur Jussy par Montescourt : le kronprinz passe en automobile et les troupes l’acclament. Sur le bord de la route, le général de division salue lui-même ses régiments et donne les nouvelles : trente mille prisonniers et 600 canons. « Cela rend la marche facile malgré l’ardeur du soleil. » L’après-midi, à Bronchy, « notre commandant de compagnie vient nous dire que des canons à longue portée ont bombardé Paris et, peu après, il nous lit le communiqué officiel : nous progressons sur tout le front d’attaque, Bapaume et Nesle sont pris, Français et Anglais refluent. Un frisson de joie court parmi les rangs et, clamé comme par une seule bouche, un Bravo retentit. C’est peu militaire, mais cela sort du plus profond du cœur. Sur tout le front, sus à l’ennemi ! Et maintenant, remercions tous Dieu qui nous a donné la victoire. Il n’y en a plus pour longtemps et ce sera la paix. C’est à peine si on ose creuser cette pensée. On éprouve un indescriptible sentiment de bonheur. »

Mais, deux jours après, ce bel échauffement victorieux se montre un peu refroidi par le manque de nourriture. Notre Werther a beau s’écrier : « L’important, à l’heure actuelle, ce sont les munitions » : il tient un compte rigoureux des insuffisantes denrées qu’il touche, et félicite avec émotion le vire-feldwebel Schutz qui a mis la main sur une bonbonne d’huile d’olive laissée par les habitants, ce qui a permis la composition d’un plat fin : une bonne portion de pommes de terre frites bien arrosées, tandis que des camarades moins favorisés se jetaient sur des chevaux morts. La division traverse Guiscard, cantonne à Rimbercourt le 28. Elle ne tardera pas à être engagée. Le 28, qui est le Jeudi Saint, notre sous-officier mêle dans un élan lyrique sa fiancée et le gâteau que sa sœur lui envoie :