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Sonnant et ferraillant, un lourd chariot, tiré par un cheval pommelé, déboucha de la rue du Murot, et, traversant la place du Marché, où les maraîchères de Saint-Mansuy étaient assises devant les mannes d’osier, pleines de melons, de quetches, de laitues, de gerbes de glaïeuls et de dahlias éclatants, il vint s’arrêter devant la boutique du quincaillier. Le char portait une énorme cuve pleine de raisins noirs. Des filles le suivaient qui, revenant des vendanges, portaient ces couronnes de pampre qu’on suspend aux solives des plafonds cl qui conservent leurs grappes ridées jusqu’au cœur de l’hiver.

Tintin Cabasse, le fils du cordonnier dont l’échoppe était au coin de la rue Traversière, accourut. Il avait une tignasse de cheveux roux et son pantalon était serré autour de ses hanches par une ficelle. Grimpant sur le char avec une agilité de jeune chat, il saisit un raisin, et mordant à pleines dents, il parut semblable à un jeune faune, ivre de soleil et de vin doux.

M. Husson le regardait en souriant. Il admirait aussi l’énorme cuve qui contenait la récolte de sa vigne, la plus belle vigne de la côte. Et, tandis que les vignerons déchargeaient les grappes et les portaient au pressoir, on voyait que le gros homme songeait avec attendrissement aux futailles où le vin dormirait son sommeil transparent en attendant de réjouir le cœur des hommes aux jours de fête.

Ayant relevé la tête, le quincaillier aperçut le professeur accoudé à sa fenêtre, et, lui ayant adressé un signe de tête amical, il lui dit :

— Ah ! monsieur Bourotte, croyez-moi, on fera un fameux vin. Celui-là aura du bouquet et de la force. Si je vous disais que mes vendangeuses ont peine à couper les grappes, tellement le bois de la vigne est mûr.

— En vérité, monsieur Husson, répondit le professeur, il est juste que les vignerons soient payés de leurs peines. Et le bon vin est une chose qu’on ne saurait trop estimer.

— J’aime vous entendre parler ainsi Vous n’êtes pas de ceux qui s’enferment dans les livres et n’accordent qu’une attention distraite aux misères de leurs semblables. Vous aimez le bon vin et vous savez que le vigneron doit craindre la gelée, qui brûle les bourgeons, la pluie qui fait couler la fleur, sans compter toutes les maladies du cep que nos pères ne connaissaient pas. Je vous le dis, monsieur Bourotte, le vin de cette