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de cheveux châtains, finement ondulés. Elle le regardait en face, attendant qu’il parlât.

Il s’expliqua :

— Je viens de faire une chute en descendant la côte... Je crains d’avoir une entorse... Suis-je loin du village de la Treiche, où je dois prendre le train ?

— Vous en êtes à trois bonnes lieues...,

— Je me suis donc perdu dans la forêt ?

— Il faut croire. Ici, c’est le Val Dormant. Le village le plus rapproché se nomme Thuilly-aux-Groseilles, où habite mon père, François Maîtrepierre, bien connu dans le pays.

— J’ai soif.

— Donnez-moi la main ! Appuyez-vous sur mon épaule... Pouvez-vous marcher ?

Le professeur s’avança clopin-clopant...

— Vous n’avez pas d’entorse, seulement quelques chairs luxées... Un peu d’eau froide et il n’y paraîtra plus... Tâchez de marcher jusqu’à ce bouquet de bouleaux et, si vous souffrez trop, reposez-vous autant que la chose sera nécessaire...

Souriante, marchant à son côté, sans plier sous sa main, pareille à quelque Antigone qui aurait guidé les pas d’un Œdipe, affligé de claudication en plus de sa cécité par le courroux des Dieux, elle le conduisit à une source qui dormait au creux d’une roche sur un lit de cailloux qu’on eût dit enchâssés d’argent. Il étancha d’abord sa soif ardente, puis, ayant défait sa chaussure, il plongea son pied dans le ruisselet qui courait parmi les joncs.

— C’est la Deuille, dit la jeune fille, une bonne source, qui ne tarit jamais, même par les années les plus sèches. Les faucheurs y puisent de l’eau et le bétail y vient boire.

— La Deuille, le Val Dormant ! dit le professeur qui vivait une aventure délicieuse.

Assise à son côté, la jeune fille occupait ses doigts à tresser des brins de jonc.

— Vous sentez-vous mieux ? demanda-t-elle.

— Toute douleur a disparu. Vraiment, cette eau est miraculeuse et vous êtes la bonne fée, dont les pâtres croient entrevoir la robe flottant parmi les bruines d’octobre. J’ai peur à chaque moment de vous voir reprendre le chemin des airs, après m’avoir fait une révérence cérémonieuse.