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Elle eut un rire clair :

— Vous êtes drôle. Tout à l’heure, on aurait dit que vous alliez rendre l’âme, et maintenant votre langue tourne aussi vite que la roue d’un moulin.

— Je souffrais tout à l’heure et maintenant je suis délivré de ma souffrance. C’est le secret de bien des joies humaines. Mais comment vous appelle-t-on ?

— Marthe Maîtrepierre.

— Et moi, je suis Jean Bourotte, professeur au collège de Toul.

Le visage de la jeune fille prit une expression de vivacité joyeuse.

— Mais nous vous connaissons bien. Vous avez été le maître de mon frère Paul. Il ne vous faisait guère honneur. Il passait son temps au collège à regretter la maison et les bois. Les livres n’étaient pas son fort. Il savait bien mieux tendre des nasses ou des lacets à prendre les grives que feuilleter les pages de son dictionnaire. C’est vous qui lui avez donné le conseil de renoncer aux examens, et mon père vous en garde de la reconnaissance.

— La chose est possible... Paul Maîtrepierre... Je me rappelle bien. Il me faisait pitié comme les pauvres linots qui sommeillent dans une cage et chantent une chanson bien triste, en songeant aux grands arbres.

— C’était cela même. Mon père l’a mis chez mon oncle qui exploite une grande scierie dans les Vosges. Il vit avec les segards, il est heureux. Mais puisque je vous ai rencontré, monsieur le professeur, il faut que je vous ramène à la maison. Mes parents ne me pardonneraient pas de vous avoir ainsi abandonné dans les bois, d’autant que le soir tombe, que votre pied n’est pas solide, et que vous arriverez à la Treiche, quand le dernier train sera passé. Acceptez mon invitation. Vous prendrez place à notre table de famille et vous verrez un joyeux repas de vendange, car la récolte est bonne et nos gens sont satisfaits. Mon père sera heureux de vous connaître.

M. Bourotte lui coupa la parole, et il dit, perdu dans un rêve :

— Et il me donnera un vaisseau et des rameurs pour me reconduire dans ma patrie...

Elle fronça les sourcils :