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vous parler de mon fils, qui est aussi le fils de votre frère. Mais ce que j’ai à vous en dire exige que je vous parle d’abord de moi. Je le ferai, avec une franchise qui me sera pénible. Du moins vous ne pourrez pas douter de ma véracité. D’ailleurs, il vous sera aisé de tout contrôler... Mon père, qui s’appelait Barberon, était employé dans une banque, au Grand Comptoir. Ma mère était une demoiselle Souty. Son père était officier. Elle avait été élevée à la Légion d’honneur. Elle avait un joli talent de pianiste et donnait des leçons pour aider au bien-être de la maison. Elle touchait par là au monde des arts. Excusez ces détails, monsieur. Encore une fois, ils sont nécessaires pour que vous compreniez comment je suis devenue ce que je suis, sortie de cette famille de petite bourgeoisie, et aussi que j’aie pu en garder certaines façons de sentir qui m’ont dicté ma conduite envers mon fils... J’avais une belle voix. Ma mère, qui m’idolâtrait, se mit, là-dessus, à nourrir le rêve, pour moi, d’une carrière de grande cantatrice. Elle me fit entrer au Conservatoire. Je vous ai dit, monsieur, que je serais absolument franche. J’ai besoin que vous me croyiez, vous, et aussi monsieur. — Elle me supplia de nouveau du regard. De quelle aide pouvais-je donc lui être ? Et elle continuait : — A dix-huit ans, j’étais gaie, étourdie, légère. Je n’avais guère d’ambition... Malgré ma belle voix, je n’étais pas une vraie artiste. J’étais sentimentale et faible... Je commis la folie de m’éprendre d’un de mes camarades. Je travaillai mal. Je manquai mon prix. Mon camarade manqua le sien. On lui offrit un engagement dans un music-hall. Il m’y fit entrer, au désespoir de mes parents. Je les quittai, pour vivre avec lui. Ce fut un de ces ensorcellements, une de ces suggestions dont on ne s’explique pas le vertige, quand une fois il est passé. Mlle Suzanne Barberon n’était pas la grande cantatrice des songes de sa mère. Elle était, et pour toujours, Mlle Suzy d’Or.

Visiblement, la fille du commis du Grand Comptoir, la petite-fille de l’officier, avait pris beaucoup sur elle pour aller jusqu’au bout de cette confession. Mais elle voulait être crue, et l’humiliation de certains aveux n’est-elle pas une garantie de sincérité ? Pour moi, la vraie preuve de cette sincérité fut dans son changement de ton, lorsqu’elle aborda la partie de son existence dont elle estimait n’avoir plus à rougir. Elle continuait donc :