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la Pologne, car la Russie des Tsars et des Tchinovniks n’admettait pas, pour son malheur, qu’il y eût une question polonaise. Mais, dans l’Europe d’après la guerre, il faut bien voir que la Pologne, la Roumanie, la Bohême prennent à nos yeux une part de l’importance qu’avait naguère la Russie. Ce qui est capital aujourd’hui, pour nous comme pour nos alliés, c’est évidemment l’existence d’une Russie forte, mais c’est aussi et surtout la bonne harmonie entre cette Russie et la Pologne. En dépit de souvenirs douloureux, l’accord, entre elles, fondé sur les intérêts, sera moins difficile à réaliser qu’on ne l’imagine.

La grande Pologne qui sortira du traité de paix, conformément aux principes des Alliés et du président Wilson, n’est pas la Pologne historique qui, au temps de sa plus grande splendeur, allait de la Baltique à la Mer-Noire, et s’étendait sur des régions où il ne reste souvent, de sa domination passagère, qu’un souvenir qui n’est pas toujours un bon souvenir. C’est la Pologne nationale où entreront toutes les populations qui ont une conscience polonaise. A l’ancien « royaume du Congrès » viendraient ainsi s’adjoindre plus de quatre millions de Polonais annexés par la Prusse et qui, malgré toutes les mesures d’oppression et de germanisation, ont conservé et même développé leur caractère national et l’ardeur de leur patriotisme. L’union des classes sociales, sous la direction des propriétaires et du clergé, a sauvé le polonisme et rendu inopérante toute la législation prussienne d’éviction et de spoliation montée, comme une machine de guerre, par Bismarck en 1886 et par Bülow en 1908. Oppression des consciences catholiques pendant le Kulturkampf, oppression des consciences enfantines à l’école, expropriation de la terre : tout a été vain. Non seulement la langue polonaise et le catholicisme, qui a été, à travers l’histoire, le cadre et la sauvegarde de la nationalité polonaise, n’ont pas reculé, mais ils ont gagné du terrain. Sans parler des groupes d’ouvriers polonais établis dans les grandes villes industrielles de la Westphalie et des Provinces Rhénanes, sans compter les centaines de mille Polonais qui sont allés chercher aux Etats-Unis la liberté et qui en reviennent aujourd’hui si nombreux pour s’engager dans l’armée polonaise organisée sur le sol français, ce « peuple de lapins » a conquis toute la haute Silésie et avancé vers l’Ouest sa frontière linguistique et nationale.