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plus de 600 kilomètres de Berlin à Strasbourg, mais seulement 250 de Berlin à Posen ; et, si l’on peut concevoir que l’Allemagne, guérie de l’impérialisme conquérant, désabusée de sa « mission divine » et enfin convaincue que Bismarck a été pour elle un fléau, reconnaisse que ce fut pour son malheur qu’elle arracha en 1871 des cœurs français à la patrie française, il est difficile de croire qu’elle se résigne facilement à la perte de ces provinces polonaises d’où l’aristocratie prussienne tirait sa force sociale et politique et qui s’enchevêtrent si étroitement dans les pays allemands. « La Marche de l’Est, a dit un jour le chancelier Bülow, est plus inquiétante que la ligne des Vosges. »

La Pologne devra donc se tenir sur ses gardes, rester forte et unie, chercher des sûretés du côté des Puissances dont la victoire la libère aujourd’hui. Une grande Pologne est nécessaire à la constitution de l’Europe nouvelle et à la sécurité de la France. Les Alliés y feront entrer tous les pays peuplés de Polonais et s’efforceront d’y rattacher, par un lien fédéral ou une simple alliance, les Etats voisins qui, librement et sans contrainte, trouveraient leur avantage à associer leur fortune à la sienne. Le jeu de l’Allemagne sera naturellement inverse ; depuis ses défaites de 1914 sur la Marne et l’Yser, son dessein a été de trouver en Russie le bénéfice de la guerre ; elle n’y a pas renoncé ; elle recherchera dans l’avenir l’amitié de cette Russie qu’elle a empoisonnée de bolchevisme, elle travaillera à la conquérir économiquement et moralement et à s’en faire une alliée afin de tenir la Pologne entre deux feux, de l’étouffer entre deux masses. Mais la Pologne, affranchie du joug russe, n’a pas de raisons irréductibles de rester en mauvaise intelligence avec une Russie guérie du bolchevisme et reconstituée en une fédération démocratique de peuples et d’Etats. Il appartiendra à la politique française de ménager un rapprochement que la Pologne sera naturellement amenée à souhaiter ; l’influence de la civilisation polonaise, plus occidentale et européenne que celle de sa grande voisine, sera nécessaire au développement de la Russie nouvelle ; elle seule, avec l’aide de la France et de ses alliés, peut l’empêcher de devenir une dépendance économique de l’Allemagne et un terrain d’expansion pour la race germanique. L’alliance franco-russe est née d’un besoin impérieux de sécurité : la politique française sacrifia à cette nécessité vitale ses sentiments anciens de sympathie et de pitié pour