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les terres, accaparer les richesses, discipliner les forces économiques, enrégimenter les masses combattantes ; il y puiserait une puissance nouvelle pour restaurer en Occident l’édifice effondré de Bismarck.

Cette œuvre d’organisation, dont la Russie aura besoin tôt ou tard, il faut qu’elle soit dirigée par des amis désintéressés, sans arrière-pensée de lucre. Le président Wilson a fort bien dit qu’on jugerait des sentiments des peuples d’après leur attitude envers la Russie. Le bolchevisme est un paroxysme de folie criminelle et sanglante qui ne se stabilisera pas, et il est nécessaire que, plus tard, la Russie associe le nom de la France et des Alliés à l’effort qui l’aura délivrée de cette maladie qui est la négation même de la démocratie et de l’humanité. Les bolcheviks, comprenant que la pacification générale est le prélude de leur perte, travaillent à déchaîner partout la guerre civile et à rallumer la guerre étrangère. Sous le nom de révolution universelle et de bolchevisme intégral, ils cherchent seulement à faire durer leur ignoble et atroce dictature. Mais le bolchevisme n’est pas la Russie. Nous savons mal ce qui se passe dans la masse profonde de ce peuple russe qui reste semblable à lui-même, avec toutes ses contradictions, candide et sauvage tout à la fois, généreux et féroce, évangélique et diabolique. Le génie russe demeure une force latente, une force d’avenir qui a son mot à dire et son rôle à jouer dans l’histoire humaine. La France victorieuse, de concert avec ses Alliés, a devant elle la responsabilité de l’Europe à reconstruire ; elle serait moins victorieuse si, oubliant les efforts, les succès, les pertes et les ruines qui ont marqué pour la Russie sa participation à la grande guerre, elle ne faisait pas tout ce qui sera en son pouvoir pour prêter à son alliée aide et assistance dans sa grande détresse. La victoire est une force vivante qui s’épuise si elle ne se réalise pas.


RENE PINON.