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Mais les Fils ont rayé sur la page sinistre
Le double chiffre noir de nos deuils surchargé,
Que fêtait l’ennemi, que savait l’étranger,
Et la gloire avec eux parapha le registre.

Ceux-là n’entendront pas chuchoter autour d’eux
Ces mots pour qui la langue, en France, n’est pas faite.
Ce mot laid : « Trahison ! », ce mot sombre : « Défaite ! »
Dont on ne sait lequel est plus morne ou hideux.

« Armistice » pour eux signifiera : « Victoire, »
« Capitulation, » Paris ou Metz vengé.
Le sens, sinon le mot même, sera changé. —
Mais, s’ils veulent, un jour, lire un peu notre histoire,

Ils sauront de quel son ces syllabes pour nous
Sonnaient !... — Elles disaient le dernier glas du Siège,
La faim mordant la ville au poitrail, sous la neige,
Et l’abattant, sans qu’elle eût ployé les genoux ;

Puis, quand tomba l’écho des dernières batailles.
Un géant cuirassé de fer, bardé de croix,
Dictant la paix, liant, sous le toit de nos Rois,
Les hontes de Sedan aux gloires de Versailles :

Nos bastions intacts, hissant le drapeau blanc.
Nos soldats désarmés, en troupeaux, sous nos portes,
Et nos canons, jetés comme des bêtes mortes.
Par milliers, sous les pas du vainqueur insolent.

Peut-être ils comprendront tout ce que nous subîmes,
Qu’en cette heure maudite où l’amour était mort,
Il parut au plus sage, il parut au plus fort
Qu’un vertige de sang s’exhalait des abîmes.

Ils sauront que ce peuple, ayant en vain souffert,
Sa colère impuissante expirait en blasphème,
A voir, suprême affront et tristesse suprême.
Notre sol libéré par l’or, — non par le fer.