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volontiers, les contemporains citent une certaine cantatrice romaine appelée la Casciata, le violoniste saxon Westhoff, et même un trompette anglais, dont le Mercure ne sait écrire le nom, à cause de l’orthographe, qu’il qualifie de « tudesque [1]. » Mme de Sévigné nous apprend (lettre du 7 août 1675), que chez « Quanto » (Mme de Montespan), « il y a des musiques tous les soirs. » Il en fut ainsi plus tard (en 1704), chez Mme de Maintenon. Ajoutons encore les « musiques de table » (d’un Philidor, d’un La Lande), pendant les soupers du Roi et les concerts des vingt-quatre violons sur le grand escalier. Voilà pour ce qu’on pourrait appeler l’ordinaire de la musique de chambre.

L’opéra même se donnait fréquemment au château. Il était presque de règle, et d’étiquette, que les ouvrages de Lulli parussent d’abord à la cour. Le Roi s’en réservait la primeur. Alceste, au mois de novembre 1673, est « répétée » ainsi, chez Mme de Montespan. « L’opéra passera tous les autres, » écrit encore Mme de Sévigné. Peu après, elle y revient : « On répète souvent la symphonie de l’opéra ; c’est une chose qui passe tout ce qu’on a jamais ouï. Le Roi disait l’autre jour que s’il était à Paris, quand on jouera l’opéra, il irait tous les jours. Ce mot vaudra cent mille livres à Baptiste. » Enfin, du 8 janvier 1674, quelques jours avant la représentation publique : « L’opéra est un prodige de beauté ; il y a déjà des endroits de la musique qui ont mérité mes larmes. Je ne suis pas seule à ne les pouvoir soutenir : l’âme de Mme de la Fayette en est alarmée. » Proserpine (1680) ne fera que redoubler encore l’admiration de la sensible marquise : « L’opéra est au-dessus de tous les autres... Il y a une scène de Mercure et de Cérès qui n’est pas bien difficile à entendre. Il faut qu’on l’ait approuvée, puisqu’on la chante. » Ladite scène faisait allusion au déclin de l’amour du Roi pour Mme de Montespan. Alors, d’année en année, les ouvrages de Lulli se succèdent à Versailles. Persée est représenté (juillet 1682) sur un théâtre dressé dans la cour du château. La pluie étant survenue, on dispose, le soir même, un second théâtre improvisé dans la salle du Manège. « La symphonie parut admirable et le Roi dit à M. de Lully qu’il n’avait point vu de pièce dont la musique fût plus également belle partout. » Le 6 janvier de l’année suivante, c’est le tour de

  1. Michel Brenet, op. cit.