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Un soir, la. Reine écoutait Iphigénie, en compagnie de son frère, l’Empereur, en visite à Versailles. Elle avait fait asseoir à côté d’elle Sacchini venu d’Italie, et l’interrogeait sur les mérites de la musique de Gluck. Avant le lever du rideau, l’un des assistants, le comte de Falkenheim, demanda au maëstro s’il n’avait jamais vu d’opéra français. « Non, » répondit Sacchini. « Eh ! bien, vous allez en voir un [1]. » Ainsi la gloire de Gluck est née en quelque sorte à Versailles. C’est ici que le maître impérieux entre tous a fondé son empire.

Et son œuvre, ou son génie, lorsque ici l’on y songe, forme avec le « moment » et le « milieu », comme disait Taine, je ne sais quel mystérieux accord. Le musicien par excellence des douleurs antiques et royales apparaît ici comme le prophète d’aussi nobles, aussi tragiques et plus réelles infortunes. Dans ce petit salon doré, l’on croit entendre, plus désolée, plus poignante que sur aucun théâtre, la plainte d’une Alceste ou de l’une ou l’autre Iphigénie. Ailleurs, de nouveaux et semblables échos s’éveillent. N’est-ce point dans une salle du château qu’un jour, assis à table, les gardes suisses entonnèrent, sur le passage de Louis XVI, le chant, populaire encore, mais à la veille d’être proscrit : « O Richard, ô mon Roi ! » Que de souvenirs de musique en ce Versailles ! Et pour tous les musiciens, fût-ce pour les pianistes. « Aujourd’hui, 5 février 1785, le Roi, étant à Versailles, informé que le sieur Erard est parvenu par une méthode nouvelle de son invention, à perfectionner la construction de l’instrument nommé forte-piano, qu’il a même obtenu la préférence sur ceux fabriqués en Angleterre dont il se fait commerce dans la ville de Paris, et voulant Sa Majesté fixer les talents du sieur Erard dans ladite ville et lui donner des témoignages de la protection dont elle honore ceux qui, comme lui, ont, par un travail assidu, contribué aux arts utiles et agréables, lui a permis de fabriquer et de vendre des forte-pianos sans qu’il puisse être troublé et inquiété pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit [2]. » Erard ! Dans l’histoire de la musique, ce nom français a mérité de vivre. Depuis un siècle et demi, les maîtres du piano l’ont, avec reconnaissance, associé

  1. Mémoires de Bachaumont.
  2. Brevet d’exemption et de fabrication donné à Erard (Sébastien) par Louis XVI. — Voir le Château de la Muette, par M. le comte de Franqueville, membre de l’Institut ; 1 vol. Hachette, 1915.