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à leur propre renommée. Consacré pour la première fois à Versailles, il restera toujours inséparable d’une autre demeure royale, de ce château de la Muette où, si longtemps, par son influence et pour lui faire honneur, la musique, elle aussi, comme à Versailles naguère, a régné. Ce beau nom, ce nom musical, une femme l’a porté la dernière, et dignement. Celle qui, d’abord, avait été la compagne d’un Pierre Erard, devenue sa veuve, sut maintenir au premier rang l’industrie esthétique dont elle avait reçu la garde, avec la gloire. Mais pour l’esprit et le cœur de la noble femme, ce n’était pas encore assez. Durant de longues années, avec autant de simplicité que de magnificence, Mme Erard fit de la musique elle-même la véritable maîtresse de sa propre maison. Les plus grands compositeurs et leurs plus fameux interprètes ne furent nulle part écoutés, compris et fêtés comme en ce salon de la Muette, où notre jeunesse autrefois connut « les enchantements célestes des sons. » Une telle demeure a droit à l’hommage de tous les artistes, et le nom d’Erard et le nom de la Muette sont de ceux, qu’en parlant de Versailles et de musique, on ne saurait sans injustice et sans ingratitude oublier.

A Trianon pas plus qu’à Versailles, Marie-Antoinette ne pouvait se passer de sa chère musique. En un coin perdu des jardins, on voit encore un petit bâtiment, de misérable apparence. L’étroite porte en est ornée d’un génie qui tient une lyre. C’est le théâtre de la Reine. Au dedans, il a conservé quelques traces à peine d’une décoration qui fut, dit-on, ravissante. Le cadre de la scène est couronné d’une draperie bleue nouée en torsade. Au centre, le chiffre royal est soutenu par deux figures de femmes couchées. Le plafond est crevé par endroits, mais Apollon y rayonne encore. Dans la salle, dépouillée de toute parure, l’unique galerie, à mi-hauteur, repose sur des consoles à têtes de lion. Ici fut représenté le Barbier de Séville. On avait ajouté, pour la circonstance, à la prose de Beaumarchais quelques morceaux tirés de la partition récente de Paesiello. Ici encore Mercy-Argenteau vit jouer Rose et Colas, de Dalayrac, par le comte d’Artois, le duc et la duchesse de Guiche, et autres interprètes de marque. La Reine elle-même parut dans le Devin de village. Assez peu favorable en général à ce genre de divertissement, l’ambassadeur de Marie-Thérèse mande pourtant à l’Impératrice que « la Reine possède une voix très agréable et