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LE PREMIER NOËL EN ALSACE DÉLIVRÉE.

en clartés pâles et suaves le rayonnement d’un jour d’hiver, aussi doux à nos cœurs qu’une aube de printemps. Mais voici qu’une soudaine éclaircie allège les nuages et dissipe le brouillard, qui monte, s’efface, s’évanouit peu à peu, laissant apparaître les innombrables détails de la façade ouvragée, les découpures de la rosace merveilleusement épanouie, les angles des pignons, les arceaux des balustres, les bordures des croisillons, les feuillages sculptés et les guirlandes ciselées qui forment l’entourage des statues taillées en plein air par des imagiers contemporains de saint Bernard. La cathédrale se révèle dans toute sa beauté prodigieusement variée. On dirait qu’elle a quitté son voile, pour nous permettre d’admirer à loisir, de loin et de près, sa splendeur imposante et ses grâces presque familières. La tour du clocher se découvre peu à peu, de façon à laisser paraître au grand jour les dentelures de ses balcons ajourés, le filigrane de ses encorbellements, son pinacle orfévri comme un ostensoir, son lanternon de grès et le faîte, effilé comme une aiguille, où s’arbore, très haut dans le ciel, un drapeau tout rayonnant de bleu, de blanc, de rouge… Un rayon de soleil, glissant à travers un nuage léger, vient toucher l’étoffe teintée d’azur, d’argent, de pourpre, et fait chanter nos trois couleurs, au-dessus de la ville où naquit la Marseillaise.

Entrons dans la cathédrale. La nef, étoilée de cierges, resplendit de l’éclat multicolore des vitraux, jetant comme un reflet de pierres précieuses sur les larges dalles et sur les robustes piliers, à travers le clair-obscur de la voûte construite en croisées d’ogive. Les travées et l’abside sont peuplées d’un va-et-vient de soldats en bleu horizon. Ils marchent par groupes, à pas lents, avec précaution, sans bruit, nu-tête, tenant à la main leurs casques d’acier bleui. Ces visiteurs, venus de tous les points de la France en guerre, apportant ici, dans l’expression de leurs traits caractéristiques et dans l’accent de leur parler natal, la marque diverse de nos différents terroirs, se sentent, plus que jamais, réunis les uns aux autres, en ce sanctuaire de l’Alsace, par la claire conscience de l’unité française. C’est ici que j’ai assisté, l’autre jour, à la visite du Président de la République et de M. Clemenceau, reçus par le vicaire général du diocèse de Strasbourg. En ce lieu historique, peu de temps avant la fête de Noël, des paroles furent prononcées qui avaient un son nouveau, particulièrement agréable aux oreilles de ceux