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LE PREMIER NOËL EN ALSACE DÉLIVRÉE.

depuis longtemps attendue, les frères qui doivent être unis pour toujours par l’« amour sacré de la patrie. » Ces enfants de Colmar se sentent redevenus définitivement Français, puisqu’ils ont le droit de chanter à haute et intelligible voix cette Marseillaise que la police allemande traquait avec un zèle hargneux, comme si ces couplets, pareils à des formules d’exorcisme, eussent effrayé nos ennemis par la vertu de quelque mystérieux enchantement, plus fort que leur volonté, plus efficace que leurs règlements et que leurs défenses, capable de déjouer tous les assauts de la force et tous les calculs de la ruse.

On sait que les directeurs de la police allemande en Alsace possédaient dans leurs archives les « listes noires, » c’est-à-dire la liste secrète des Alsaciens qui, en cas de mobilisation, devaient être expulsés, et la liste également secrète de tous ceux qui, dans le même cas, devaient être arrêtés, dirigés sur l’Allemagne, enfermés dans les casemates d’Ehrenbreitstein, de Rastadt et autres lieux de dure captivité. Sur ces listes étaient inscrits, à la place d’honneur, les noms de Paul-Albert Helmer, de Daniel Blumenthal, de l’abbé Wetterlé, du docteur Bucher, de Hansi, de Zislin, plus populaires que jamais à Colmar et dans toute l’Alsace. Mais, à côté de ces noms particulièrement notoires, combien de noms inconnus indiquaient, sur ces listes noires, les pauvres gens, les témoins ignorés, les martyrs obscurs qui, dociles aux préceptes et à l’exemple de Jacques Preiss, député protestataire de Colmar, mort après une lente agonie, assassiné par les Allemands, ont voulu, eux aussi, confesser leur foi en chantant la Marseillaise !

Un habitant de Colmar, très renseigné sur tous ces faits, qu’il a notés au jour le jour, me dit :

— Il faudrait qu’une sorte de tableau d’honneur fît connaître dans toute la France, nominativement, nos pauvres gens d’Alsace, ces simples artisans, ces ouvriers, ces paysans, ces servantes qui, ne pouvant pas faire la guerre autrement, voulant, tout de même, servir leur pays et contribuer, ne fût-ce que par leur souffrance, à la victoire, se sont exposés volontairement à toutes les rigueurs des Conseils de guerre extraordinaires de Strasbourg, de Colmar, de Mulhouse, en manifestant leur attachement à leur patrie. Au mois d’octobre 1915, la veuve Graff, à Saverne, chante la Marseillaise en pleine rue, sachant à quoi elle s’expose. Elle est aussitôt condamnée à