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ciels allemands ne contiennent que des mensonges… Les Français reviendront… »

Les Français sont revenus. Les écoliers d’Alsace ont échappé à la poigne des policiers d’outre-Rhin, ainsi qu’à la férule des instituteurs allemands, qui avaient essayé en vain de leur arracher du cœur l’amour de la France. Ils ont répondu par le fameux refrain que tous les Français d’Alsace savent chanter :

On changerait plutôt le cœur de place !

Aussi, quelle joie, pour ces petits, recevoir des mains de nos soldats, leurs amis, aidés par de gracieuses jeunes filles, à qui le costume alsacien sied à ravir, les jouets tout neufs qui leur sont réservés, surtout les livres, dorés sur tranches, où ils trouveront de belles histoires, écrites en français ! Un à un, ces enfants défilent devant le général de Castelnau qui, pour chacun, trouve dans sa bonté toute paternelle un geste affable, un mot affectueux dont le bienfait ne s’effacera jamais de leur jeune mémoire. Et personne ne sera oublié. Tandis que les meilleurs élèves des écoles de Colmar sont ainsi récompensés dans la salle des Catherinettes, il y a cinq autres distributions dans les divers quartiers de la ville.

La journée se prolonge très tard. Les volets des pittoresques maisons à pignons pointus et tourelles en surplomb sur le zigzag des rues étroites, laissent filtrer des rais de lumière. On veille, en famille. Aux approches de minuit, toutes les portes s’ouvrent. Et, par groupes compacts, par files ininterrompues, dans l’ombre de cette nuit de décembre, pluvieuse et noire, tous les habitants de Colmar se dirigent vers l’église collégiale de Saint-Martin, brillamment éclairée.

C’est la première fois, depuis cinquante ans, que la messe de minuit est célébrée dans cette vieille église, qui fut bâtie par un architecte français. Aussi la population est accourue en foule, et l’on a bien de la peine à trouver une place dans la nef ou dans les bas-côtés, où se presse, longtemps avant l’heure fixée, une multitude de gens silencieux, recueillis, pour faire place aux nouveaux venus, surtout aux soldats dont l’uniforme glorieux mêle à la grisaille des vêtements civils, dans l’étincellement éblouissant des cierges allumés, une magnifique splendeur de bleu horizon. Nos Alsaciens ont remarqué, en maintes circonstances, l’habitude de familiarité respectueuse qui permet,