Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/534

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi lorsque, lassés de tant d’insolence, les États-Unis se placèrent enfin aux côtés des Puissances démocratiques dans la lutte que la France et l’Angleterre soutenaient contre l’Allemagne ; lorsque M. Wilson, définissant le caractère de leur intervention, proclama les vues d’avenir qui étaient les siennes, celles-ci apparurent si éloignées des réalités immédiates qui sollicitent d’ordinaire l’attention des hommes politiques, qu’on fut comme désorienté à Berlin et qu’on ne mesura pas du premier coup la force du coup qui était porté à l’Allemagne. Cependant l’effort américain se développait et, de concert avec celui des Alliés, submergeait toutes les résistances.

L’Allemagne avait commis quelques erreurs fondamentales sur les États-Unis. La première était de croire qu’il n’existait pas chez eux de véritable esprit national. Une démocratie composée d’éléments venus de tous les coins du monde, sans traditions communes, ne pouvait, aux yeux de cette nation hiérarchisée, constituer un tout homogène. L’illusion germanique reposait aussi sur les manifestations d’amour que les Américains de race allemande prodiguaient à leur pays d’origine. Pour les maintenir dans une sorte d’allégeance à l’égard de leur mère patrie, la loi Delbruck avait autorisé les Allemands à acquérir une double nationalité et à se faire naturaliser Américains sans rompre les liens qui les rattachaient à la mère patrie. Enfin, le frère de l’Empereur lui-même, le prince Henri de Prusse, avait traversé l’Atlantique pour passer en quelque sorte en revue les sociétés allemandes qui pullulaient sur le sol de l’Union. Et sans doute, il se trouvait un certain nombre d’Américains d’origine allemande restés attachés à leur ancienne patrie, mais le nombre en était petit relativement à la masse de la population, et d’ailleurs le sentiment public n’eût pas toléré chez des citoyens américains l’aveu d’une fidélité au passé qui eût été considérée comme un acte de déloyauté à l’égard de l’Amérique.

Il suffisait, du reste, de pénétrer un peu les couches profondes de la nation pour sentir l’extraordinaire puissance d’assimilation de l’idée américaine et éprouver la solidité du lien moral que crée entre les hommes la pratique de la liberté.

L’expérience la plus contemporaine apportait ainsi la preuve que ni l’unité de race ni l’unité de langage ne sont les éléments nécessaires à la formation de cette âme commune qui constitue la nationalité.