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On le savait déjà ; dans le Brandebourg, le fond de la population est d’origine slave et non pas allemande, et, en Suisse, on parle trois langues ; mais jamais l’évidence de cette vérité n’était apparue aussi frappante qu’en Amérique.

On trouvait même aux États-Unis un avantage singulier à la diversité des éléments ethniques de la population. J’ai entendu Théodore Roosevelt, comparant son pays à l’Australie, soutenir cette thèse, qui n’est pas toute paradoxale, que, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, il n’est pas bon de s’unir entre soi et que la diversité d’origine du peuple américain lui donne sur le peuple australien cet avantage que, grâce à elle, il possède un esprit national original et dégagé des liens d’une antique et unique tradition,

L’Allemagne ne s’était pas moins trompée sur les principes de la politique extérieure du gouvernement des États-Unis. Pendant longtemps, cette politique a reposé sur le message d’adieux de Washington, message dans lequel cet homme illustre conseillait à ses compatriotes de se tenir soigneusement en dehors de toute union avec les puissances européennes. Pour juger historiquement de la portée de ce grand document, il faut se reporter au temps où il fut écrit : la guerre de l’Indépendance venait de se terminer ; la Révolution française ébranlait le monde ; l’Angleterre et la France étaient de nouveau aux prises, et Washington, frappé des courants d’opinions que ces événements faisaient naître dans son pays, voulait que ses concitoyens ne fussent ni Anglais, ni Français. mais simplement Américains. L’objet qu’il avait en vue, c’était de gagner du temps afin de donner au caractère national le moyen de se former. — Washington ne cherchait pas à soustraire son pays à toute éventualité de guerre, mais il voulait qu’il pût arriver à ce degré de force qui le rendrait maître de ses destinées : c’est ainsi qu’il écrivait à Gouverneur Morris en 1792 : « Si notre pays peut rester en paix encore une vingtaine d’années, il pourra, si la cause est juste, délier alors n’importe quelle puissance, » et il disait dans son message d’adieux : « Le jour n’est pas éloigné où nous pourrons choisir entre la paix et la guerre, le parti que nous conseilleront nos intérêts éclairés par la justice. »

La durée de la politique d’isolement préconisée par Washington a été plus longue qu’il ne le croyait nécessaire ; elle s’est prolongée pendant près d’un siècle. Elle avait du reste