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— Vous avez eu raison, répondit M. Gibert, de le faire en matériaux indestructibles... Il a été élevé très rapidement...

— Oui, je n’aime pas les choses qui traînent, interrompit vivement l’Empereur.

— Je vous assure, continua M. Gibert, que ce monument sera respecté par mes citoyens qui ont le culte des morts. C’est ainsi que chaque dimanche il vient ici plus de deux mille personnes.

— Ah ! vraiment, tant que cela ! repartit l’Empereur. J’avais eu tout d’abord l’intention de mettre des soldats, l’un Français, l’autre Allemand, à la place des guerriers antiques, mais j’y ai renoncé, craignant que la population en fut choquée.

— Vous avez bien fait, dit M. Gibert, car cette conception n’aurait pas été comprise.

— Comme descendant de Coligny, repartit l’Empereur, je suis heureux d’offrir ce monument à la ville de Saint Quentin. C’est par une circonstance vraiment extraordinaire que je suis amené à le faire précisément dans la ville où mon aïeul a joué un rôle si illustre.


Après un temps, il ajouta :


... Vous savez que le gouvernement français a voté quarante millions pour le ravitaillement de la population du Nord.


M. Gibert répondit :


— Nous en sommes très heureux, le ravitaillement américain fonctionne d’ailleurs régulièrement ici, mais il y a un point qui m’inquiète : c’est l’alimentation de la ville en pommes de terre

— Cependant la récolte a été très bonne cette année, dit l’Empereur. Il est vrai que nous sommes dans un pays fort riche, mais dont le sol ne convient pas bien à la culture de la pomme de terre, qui n’aime pas les terrains sablonneux. En Allemagne nous avons trouvé le moyen de conserver la pomme de terre ; nous la coupons en flocons que nous desséchons, nous évitons ainsi la pourriture. En France on devrait suivre cet exemple, et les pays sablonneux pourraient aussi en fournir aux régions qui n’en fournissent pis.


Après quelques instants de silence, il reprit d’un air affecté :


— Vous savez qu’il se livre actuellement en Champagne des combats extrêmement meurtriers... Mais le gouvernement français commence à se rendre compte de la situation, car il vient de flanquer Delcassé à la porte (sic). Vous verrez que les Anglais conserveront Calais et en feront une province...

— Sire, réplique vivement M. Gibert, tous leur prêtez assurément des sentiments qu’ils n’ont pas.