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son admiration. Il osa me dire : « Ils furent d’une crânerie magnifique. Ils sont morts en héros ! [1] »


UNE CONVERSATION AVEC LE KAISER

Ce même été de 1915, comme j’étais allé à Saint-Quentin où je pus tenir une session de baccalauréat, je recueillis un fait des plus curieux el, à certains égards, des plus instructifs que je rapporterai en matière d’épisode. J’en dois au maire, ou plus exactement à l’adjoint faisant fonctions de maire, M. Gibert, l’intéressant détail. La multitude d’Allemands qui ont succombé dans les quelque dix-sept hôpitaux de la ville est si grande que l’Empereur allemand avait résolu de construire, aux frais de son Trésor, un monument en leur honneur ainsi qu’à la mémoire des français, morts pour leur patrie. Le monument fut promptement élevé : à la porte, deux statues de guerriers antiques en gardent l’entrée. Le 18 octobre dernier, avait lieu en grande solennité la remise de l’édifice funèbre, par le général von Nieber, inspecteur général de l’armée, à la ville de Saint-Quentin. Au moment où le maire et ses collègues arrivent près du cimetière Saint-Martin, retentissent les hourras des troupes de la garnison, rangées derrière le général. L’Empereur, son fils Eitel et son gendre, le duc de Brunswick, pénétraient dans le cimetière et se dirigeaient vers le monument.

Successivement, un pasteur protestant, l’archiprêtre, le général von Nieber et le maire prirent la parole. La cérémonie officielle était terminée.

Alors l’Empereur s’approcha seul, et sans qu’aucune personne de son escorte put l’entendre, du maire et « les délégués municipaux, il eut avec M. Gibert un entretien particulier qui dura dix minutes. Il est trop piquant pour que je ne veuille pas le reproduire à la lettre :

— J’ai fait, dit Guillaume II, ce monument en pierre dure pour qu’il puisse perpétuer le nom de ces braves.

  1. Le Journal officiel du 8 décembre 1918 publie la nomination dans la Légion d’honneur de M. Jacquet Camille, commerçant à Lille, fusillé par les Allemands le 22 septembre 1915, « condamné à la peine capitale par les Allemands et exécuté à la citadelle de Lille le 22 septembre 1915 pour avoir « entretenu, caché, donné aide et assistance à des militaires français et anglais et favorisé leur évasion. » Est mort en héros, les mains libres, en criant : « Vive la France ! Vive la République !. »