Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gestes obscènes. Le cœur se lève devant une telle ignominie !

Rien n’aura été épargné pour terroriser les habitants. Sur divers points sont braquées des mitrailleuses, les gueules tournées vers la ville, pour lui signifier les répressions imminentes à la moindre velléité de résistance. De toutes parts affluent les détails poignants. C’est le quartier le plus excentrique de Lille, celui de Fives, qui s’étend par delà l’enceinte, quartier rempli par une population ouvrière, qui a été le théâtre de la première « journée. » On ne compte pas les scènes sinistres. Un mari, veuf depuis la veille, n’obtient même pas d’être laissé quelques jours à sa douleur, au milieu de ses souvenirs. Des malades produisent en vain un certificat de médecin. « Bah ! leur est-il répondu. Si on les écoutait, ils seraient tous mourants. Seuls ont de la valeur les certificats de médecins allemands. » Parfois, en chemin ou à la gare, un partant tombe sans connaissance, un autre défaille et il faut bien se rendre à l’évidence. Mais je ne puis m’empêcher de revenir au trait le plus odieux : l’acharnement déployé par ordre à ramasser de préférence femmes et jeunes filles. Au chevet d’une agonisante que le prêtre vient d’administrer, sont posées les jeunes et tendres mains qui, dans quelques minutes, lui fermeront les yeux. Rien n’arrête le bourreau qui a déjà noté sa victime : la pieuse consolatrice est impitoyablement arrachée. Le fait atroce, dont on ne rencontrerait pas d’exemples aux temps de la plus lointaine barbarie, est hélas ! indiscutable. Que d’autres, le cédant à peine en horreur, pourraient être cités ! Parfois les exécuteurs de l’atroce consigne seraient disposés à se laisser fléchir. Mais le mot d’ordre est formel, et précis le chiffre auquel devra s’élever le bétail humain qu’ils sont tenus de ramener. D’autres, qui ont toute honte bue, se plaisent à assaisonner d’une raillerie pesante leur révoltante action. Tel celui qui, à une mère désespérée de se voir enlever un fils chéri, présente cette consolation : « Do quoi vous plaignez-vous, madame ? Je vous laisse les deux autres. » L’un a 7 ans, le second 12 !

La nouvelle de ces atrocités eut, dans la matinée du samedi saint, bien vite fait le tour de la ville. Sur-le-champ, le maire, le sous-préfet et l’évêque rédigent un télégramme destiné au grand État-major, et réclamant l’ordre de mettre fin au scandale. Cette requête télégraphique, nous ou avons eu depuis la