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elles se continueront jusqu’à la fin de décembre et l’on assure qu’au premier de l’an 1917 ne résisteront loin du pays que ceux qui n’auront pas voulu y revenir. Pourquoi faut-il que, lorsqu’une trêve semble interrompre le cours de nos maux, une vexation inédite, une violence inouïe vienne aussitôt nous rappeler à la réalité ? Il y a là comme une loi, à laquelle nous n’aurons guère connu d’exceptions. Dans la nuit du 5 au 6 novembre elle devait se vérifier une fois de plus.

C’est à Tourcoing que le tragique incident se produisit. Une troupe de jeunes gens revenus de leur villégiature forcée, se trouvaient internés dans une salle de l’usine Jelipo, rue Winoc-Chocquel. Ils attendaient là qu’une décision, — la libération sans doute ? — fût prise à leur égard. Pour l’un d’eux du moins la mise en liberté ne semblait pas devoir faire question. Je veux parler du jeune Vanneuverswyn, élève de mathématiques au lycée Faidherbe et fils du distingué docteur de Fives. Sa mère, impatiente de l’embrasser, était venue le voir dans l’après-midi du 5 novembre, croyant ne devancer que de quelques heures le définitif retour au foyer…

La malheureuse mère ne devait revoir son fils qu’étendu mort sur un lit d’hôpital.

Eugène Vanneuverswyn avait dix-neuf ans. Le front haut, l’œil doux et clair, toute sa personne respirait la franchise et la droiture, annonçait la distinction. La carrière qu’il s’était choisie était celle d’officier de marine. Bien élevé, instruit, tout pénétré de nobles sentiments, il ne pouvait manquer d’exercer sur ses compagnons d’exil un certain ascendant. Ces compagnons, pour la plupart, appartenaient à la classe inférieure de la population de Fives ; leur niveau intellectuel était médiocre. Ils le reconnurent bien vite pour un guide, un conseiller. Les appels qu’il fit à leur patriotisme furent entendus. Ainsi, quand ils reçurent l’ordre de tresser des branches d’osier et de préparer des fascines à l’usage des tranchées et qu’il leur eut représenté qu’un travail de ce genre constituerait une aide militaire prêtée à l’ennemi, plus un seul ne consentit à accomplir l’infâme besogne. L’autorité occupante eut-elle vent de cette propagande ? Le docteur Vanneuverswyn m’a « lit n’en point douter. Il est convaincu que le jeune patriote était de longue date noté comme « forte tête. » Si des rigueurs attendaient la troupe indocile, il était à prévoir qu’il serait le premier atteint.