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Je m’en voudrais d’omettre un détail bien touchant qui atteste la délicatesse de cette âme d’élite. Lors de la visite de sa mère à Tourcoing, Eugène remit à cette dernière une lettre antérieurement écrite, qu’il n’avait pu lui faire parvenir. Il s’y trouvait cette ligne, grosse de sous-entendus : « Nous nous sommes tirés à notre honneur et à notre avantage de bien des difficultés... » Qu’était-ce à dire, sinon que son discret apostolat avait été couronné de succès, qu’obéissant à sa parole, ces catéchumènes de la foi patriotique avaient repoussé toute tâche qui ne se pouvait accepter sans trahison ? Il considérait son sort comme étroitement lié au leur. De là vient que, quand sa mère l’eut informé de sa libération imminente, n’étant pas assuré que l’heureuse décision s’étendrait à tous, redoutant peut-être que cette faveur lui fût réservée à lui seul (en quoi sans doute il se trompait), des scrupules lui vinrent. Ses compagnons n’interpréteraient-ils pas son privilège comme un abandon ? Le sage conseiller qui leur avait si bien tracé le devoir, ne paraitrait-il pas avoir évité de le mettre lui-même en pratique ? Cette pensée lui était intolérable.

La nuit vint. Selon la règle, à un moment donné eut lieu L’extinction des feux. Tous étaient couchés, mais tous ne dormaient pas, et à qui ne dort pas l’obscurité est insupportable. Plusieurs des jeunes gens avaient sur eux de petites lampes électriques : ils s’avisèrent de presser le ressort et soudain des lumières brillèrent. Il était entre neuf et dix heures. Sur l’ordre des soldats, les lampes s’éteignirent Mais voici qu’au bout d’un instant, une lampe en un coin se rallume.

Cette récidive met un des gardes hors de lui. Il se dirige du côté où l’acte s’était produit ; de là, il distribue à tour de bras des coups de la crosse de son fusil. Ceux qui sont frappés protestent ; Eugène tout le premier, avec d’autant plus d’énergie qu’il était parfaitement étranger à ce qui venait de se passer. Car, on ne saurait trop y insister, s’il avait dans sa poche une de ces lampes, il l’y avait laissée, sans en faire usage. L’Allemand, furieux de sa protestation, assène un coup plus rageur, qui fait vomir le sang m jeune homme. Ce n’était pas assez : la brute, de plus en plus déchaînée, transperce de sa baïonnette Eugène Vanneuverswyn, qui s’affaisse dans un bain de sang. Il expire bientôt après : l’arme avait traversé le cœur. Quand