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CE QUE
J’APPELLERAIS LE CIEL...

La petite ville d’Évian, en Savoie, au bord du lac Léman, est pour moi le lieu de tous les souvenirs. C’est là que j’ai, dans mon enfance, tout possédé, et dans l’adolescence tout espéré. Si le parfum est le plus prompt véhicule que l’âme puisse emprunter au monde pour rejoindre le passé, l’infini, les cieux, je suis ici dans ce royaume de la mémoire.

Je reconnais les vives odeurs du lac, légères et mouvementées, où l’on discerne un parfum de marine et d’ablettes, de goudron éventé, de barques peintes et clapotantes, qui font rêver des grands ports et des voyages. À cette jubilante émanation du rivage il faut joindre l’arôme matinal de la rosée des nuits, partout encore en suspens et que l’azur s’assimile ; des effluves d’herbes et de pollens qui contaminent suavement l’intacte pureté de l’air, et de fines senteurs animales : plumages volants et pépiants, roitelets, chardonnerets, merles charmants et maladroits, fardeau de la délicate pelouse.

Le lac, en été, est un satin tendu, plus soyeux que l’éther, moins que lui cristallin. Le silence, dans cette atmosphère de turquoise crémeuse, formerait un bloc de compact azur, s’il n’était disjoint de moment en moment par le bourdonnement saccadé des bateaux à vapeur, qui semblent transporter d’une rive à l’autre l’impatience aventureuse, et l’exaucement des désirs.

Là j’ai vraiment connu la joie, visiteuse forcenée, archange tumultueux qui pénétrait en moi avec toutes ses ailes pour