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et tout n’est rien. » Pourrons-nous nous résigner à ce néant, à cet immense désert ?

Et quand Bonaparte en Italie, épuisé de gloire et d’inquiétude amoureuse, distrait de ses sublimes victoires par son amour pour sa compagne, écrivait de Tortone, un soir, une lettre qui tomba à Milan dans une salle du palais Serbelloni, ou à Paris, rue Chantereine, sur les genoux nonchalants de Joséphine, — lettre dont j’ai retenu ces deux mots haletants, harassés : « Mourir ensemble !... » — le vainqueur du monde pensait au ciel.

Il pensait au ciel, Beethoven, dont les grandes houles gémissantes, pareilles aux Océans tourmentés par leurs chaînes profondes, se soulevaient vers les astres ; Rousseau, qui fuyait les villes pour s’élever, le cœur contracté d’amertume, vers les campagnes neigeuses où fleurissent la gentiane bleue et le frais arnica ; ils pensaient au ciel, tous ceux qui, exaltés ou déçus, nous ont laissé le témoignage de leur terrestre exil.

Et quand, entre deux êtres qui se sont aimés, tout est passé, brisé, quand les époux, les amants ont vu s’évanouir les sublimes illusions qu’ils avaient promis de rendre éternelles, il reste encore entre eux un lien indéfinissable, qu’aucune combinaison humaine ne pourrait plus renouer ni satisfaire, mais dont l’âme a bien la connaissance ; lien puissant, saturé de mélancolie, d’espérance sans but et sans moyen, mais qui ne se lasse pas, et que j’appellerais le ciel...


COMTESSE DE NOAILLES.