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Le Roi parut s’y résigner : il donna l’ordre qu’on jetât à la mer le sac renfermant les exemplaires de la proclamation imprimée à Ajaccio. Les Corses qui avaient accompagné le Roi et que l’honneur obligeait à le suivre accueillirent cette décision avec joie, « car, écrit l’un d’eux, outre qu’elle nous promettait la fin prochaine de nos souffrances, elle nous donnait l’assurance que la vie du Roi était sauve, et qu’il ne serait plus exposé au hasard des événements. »

Les provisions étaient épuisées ; la felouque, comme la gondole, ne pouvait affronter, au delà du phare de Messine, les habituels coups de vent et la mer qui y est rude. Il paraissait expédient que l’on débarquât quelqu’un de compétent pour acheter des provisions et pour noliser un bateau plus marin. Barbara fut désigné pour faire ces commissions au Pizzo, le port le plus proche, où il disait avoir des amis, et être certain de trouver des ressources. Il reçut du valet de chambre du Roi la liste des objets nécessaires pour une traversée de cette durée, et il allait s’embarquer sur la barque N°6, lorsqu’il s’avisa de prier le Roi de lui confier le passeport autrichien, La demande semblait raisonnable, car comment Barbara eût-il débarqué et comment se fùt-il présenté aux autorités bourboniennes, comment eût-il acheté un navire, sans justifier de sa qualité et de celle de celui qui l’envoyait ? D’autre part, si le Roi se défiait de Barbara, sa prétention devait inspirer des soupçons, car si, en son absence, la gondole était visitée par une coursière napolitaine, quel serait le sort de Murat et de ses compagnons ? En tout cas, la demande de Barbara déplut, et comme il insistait, disant qu’il ne pouvait débarquer s’il n’avait les papiers, Murat s’écria : « Eh bien ! monsieur, je débarquerai moi-même. »

C’était là une de ces poussées de violence dont il était coutumier, et qui déconcertaient les plans qu’il avait le plus longuement combinés. Depuis six mois, il n’avait pu reprendre son équilibre, et il tournait à tout vent. N’ayant pu réaliser son voyage en Angleterre, il s’était accroché à ce Retour de l’île d’Elbe. Cet espoir suprême s’effondrait, et il retombait à une -forme d’existence qui lui faisait horreur et pitié. Tout naturellement, à la première résistance il se cabra ; il se décida à jouer le tout pour le tout, et il se jeta dans la mêlée.

Peut-être, s’il avait rencontré une opposition décidée, eût-il pu encore être sauvé, mais, si quelques-uns de ses compagnons