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Au jour, on passa devant la Madalena dont la tour tira quelques coups à boulets sur les barques suspectes. A deux heures, on était à la Tavolara ; tout le monde débarqua : le Roi passa en revue sa troupe et distribua quarante uniformes achetés à Ajaccio.

Le 1er octobre, on fit voile pour la destination assez incertaine que Murat avait choisie. Serait-ce Granatello, les environs de Pozzuoli ou Cetraro où régnait, disait le Roi, « le meilleur esprit de tout le royaume ? » En attendant, le 5 au matin, on reconnut Naples et le Vésuve ; on avait fait fausse route, et il fallait redescendre. Le 6, on était en vue de Paola, en Calabre Citérieure, et l’on se préparait à mouiller dans la petite baie de San Lucidio, lorsqu’un coup de vent éloigna de la côte les barques qu’il dispersa Au matin, la felouque et la gondole royale se trouvèrent seules au même point, en face de San Lucidio, Murat envoya par deux fois un canot aux renseignements, car il pensait débarquer à cet endroit même ; mais il ne gagna que d’y laisser prisonniers le commandant Ottaviani et un marin. Après des colères impuissantes, il se résolut de gagner Amantea, plus bas sur la côte. Barbara disait qu’on y serait bien accueilli. Au moment où on allait partir, on reconnut la gondole du capitaine Courraud, qui rejoignait ; mais, lorsque, à la nuit, on appareilla, le capitaine Pernice et le lieutenant Multedo, subordonnés de Courraud, passèrent sur la barque royale et prévinrent le Roi que leur chef paraissait suspect et qu’il décourageait les hommes. Le Roi fit venir Courraud, le sermonna et fit prendre sa barque à la remorque. Dans la nuit, on fut obligé de larguer l’amarre, et, au matin, lorsqu’on arriva à Amantea, Courraud avait disparu. Il rencontra en mer le capitaine Ettore et il lui annonça que le Roi avait renoncé à son expédition et se dirigeait sur Trieste. Il n’y avait plus qu’à regagner la Corse [1]. Ettore se laissa persuader.

Les deux autres gondoles avaient aussi disparu ; elles étaient quelque part, du côté du golfe de Policastro, cherchant à rallier la gondole royale. Il restait à Murat la poignée d’hommes montés sur son bateau : qu’allait-il faire ? Une seule solution était raisonnable : gagner Trieste, grâce au passeport autrichien.

  1. Galvani a soin de dire que Courraud était un continental, le fils d’un pharmacien établi à Ajaccio. Cela pour expliquer qu’il eût abandonné l’entreprise.